Un civisme bien tempéré
La police doit se faire respecter, dit-elle. Lorsqu’un agent de la force publique s’estime outragé, il porte plainte contre le pékin censé avoir manqué au minimum de considération obligée. Cela se termine, bien souvent, sur le banc d’infamie, et la justice est impitoyable envers quiconque est accusé d’enfreindre un protocole à sens unique, car le policier peut toujours insulter ses victimes : il est assermenté et sa parole ne peut être mise en doute.
Venons-en aux faits. En août 1996, les forces de l’ordre expulsent brutalement les étrangers sans papiers qui occupent l’église Saint-Bernard, dans le 18e arrondissement de Paris. Des photographes sont présents, qui fixent l’événement sur la pellicule. L’une des photos paraît dans la presse : on y voit deux policiers, l’un en uniforme et l’autre en civil, traînant sans ménagement un immigré hors du lieu de culte. Dans les jours qui suivent, le collectif Ras l’front du 10e arrondissement diffuse un tract indigné sur cette expulsion, et fait figurer au dos la photocopie de la photo parue dans la presse. Rapidement, le policier en civil estime que l’on a utilisé son image à l’insu de son plein gré, que ses voisins ont pu le reconnaître (l’image de la police serait-elle à ce point dégradée ?) et il porte plainte contre le président national de Ras l’front. Et lui demande une forte somme en dommages et intérêts.
Au procès, le dossier du plaignant est tellement creux qu’il est lui-même condamné à verser des dommages et intérêts. Bien entendu, ce policier fait appel mais il est de nouveau condamné. L’affaire traîne en longueur et le policier peine à payer sa dette. Comment faire avec ce fonctionnaire qui fait la sourde oreille ? Finalement, près de quatre ans plus tard, à la mi-novembre 2000, le compte-chèques postal du président de Ras l’front est crédité de la somme due. Devinez qui paie ? Réponse : la préfecture de police. Autrement dit, lorsqu’un policier est ainsi condamné, c’est, indirectement, le contribuable qui paie la note. Cette pratique doit certainement être courante. Belle leçon de civisme policier…
Janvier 2001
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