quefaitlapolicelogo Face à la marée bleue : Dix ans de Que fait la police ?

Avant-propos

Le 6 avril 1994, la création de l’Observatoire des libertés publiques constituait une gageure. Un an plus tôt, jour pour jour, un inspecteur de police avait assassiné de sang-froid, d’une balle dans la tête, le jeune Makomé. Cela s’était passé au commissariat des Grandes-Carrières, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, au cours d’un interrogatoire illégal. Comme chacun sait, un interrogatoire ne se déroule pas avec une arme à la main, et moins encore face à un mineur attendant l’arrivée de son père pour quitter le commissariat de police.

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Rapidement, en juin 1994, paraissait le premier numéro de Que fait la police ? C’était le début d’une aventure, dont beaucoup affirmaient qu’elle était sans lendemain. Il est vrai que d’autres avaient déjà tenté d’alerter l’opinion publique sur les exactions policières, mais avaient renoncé.

Charles Pasqua était alors ministre de l’Intérieur, assisté par l’ancien policier Robert Pandraud. Il y avait donc tout à craindre de cette initiative, et l’on ne misait pas gros sur l’avenir de ce petit brûlot, dont la seule ambition était d’informer – même s’il ne s’agissait que d’un bulletin intérieur destiné à un public limité.

Cela ne s’était jamais fait, mais il n’était pas nécessaire d’avoir beaucoup d’audace pour commencer, même s’il était indispensable de s’obstiner, et persévérer dans la durée. Malgré la volonté répressive de cette époque, la foudre ne nous est pas tombée sur la tête. Certes, nous n’avons jamais fait que reproduire les extraits de presse glanés dans les journaux parisiens, comme dans la presse de province. Pourtant, la publication de ces bavures, mois après mois, pouvait peut-être énerver les autorités, et conduire à une plainte pour outrage aux forces de l’ordre. En effet, peut-être fournissions-nous aux lecteurs de Que fait la police ? une image dégradée de ceux qui sont censés assurer la protection des biens et des personnes. En tout cas, l’accumulation des faits signalés met en pleine lumière un prisme pouvant être considéré comme exagérément grossissant.

Depuis nos débuts quatre ministres de l’Intérieur ont succédé à Charles Pasqua, Place Beauvau : Jean-Louis Debré, Jean-Pierre Chevènement, Daniel Vaillant et Nicolas Sarkozy, plus répressifs les uns que les autres. Même si, à une certaine époque, on a tenté de nous expliquer que « la sécurité est une valeur de gauche », notre détermination a toujours été la même : décrire les dérives policières en régime démocratique. Sans jamais oublier qu’un coup de matraque de gauche est aussi douloureux qu’un tabassage ordonné par la droite.

Cela fait dix ans, et Que fait la police ? poursuit sa parution. Non plus sur deux pages, comme de 1994 à 1996, mais sur quatre, six ou même huit pages, lorsque la triste actualité nous en fournit l’occasion. Signe évident de la persistance des exactions policières.

Le 100e numéro de Que fait la police ? est paru en mars 2004. Nous n’avons pas l’intention d’en rester là ! Aussi longtemps, en tout cas, que l’institution policière sera bien plus répressive que préventive. Sauf à en être empêché, nous poursuivrons cette publication interne, mais très visible. Nous persisterons tant que l’autorité ne décidera pas de s’attaquer aux causes plutôt que, prioritairement, aux effets de la précarité et de la ghettoïsation des cités.

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Au cours des dix années écoulées, nous avons pu rassembler environ 3500 informations sur les activités nocives de la police, dans le même temps que se constituait un large réseau d’observateurs à travers la France. Ce qui nous permet d’avoir accès à la presse de province, et donc à des informations que ne rapportent que très rarement les grands quotidiens nationaux. Par ailleurs, il convient de souligner que la rubrique « faits divers » de la presse oublie de plus en plus de publier ces petites informations sur les nombreuses bavures commises dans les zones dites « sensibles ». Curieusement, ce sont parfois les quotidiens gratuits, comme 20 Minutes ou Métro, qui comblent ce vide.

Tout au long de ces cent numéros de Que fait la police ? il nous a paru nécessaire de commenter, par un bref billet, l’évolution de la situation. Cette présence de plus en plus visible de policiers qui, au nom de l’ordre, s’efforcent de limiter nos libertés, au point de les annihiler. La lourde menace qui pèse sur la démocratie se devait d’être décrite, avec les mots qui conviennent. Ces quelques dizaines de petits éditos, publiés ici, présentent cet intérêt de montrer l’invariance du comportement policier, sous la droite comme sous la gauche. L’exemple venant du ministre de l’Intérieur, quelle que soit sa couleur politique. De Pasqua, s’efforçant de masquer le passé « collabo » de la police, à Sarkozy et sa tentation de multiplier les fichiers, en passant par Debré couvrant les exactions racistes des policiers, et Chevènement tentant de nous convaincre de l’intérêt d’une police d’ordre, rien ne nous a été épargné. La palette a été large de ces discours répressifs où chacun peut aisément tenir le propos de l’autre.

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Longtemps, certains syndicats de policiers se sont interrogés sur les dérives des « collègues », plus brutaux que les autres ou en proie à la haine raciste. C’est une période révolue. Ces syndicats, dits de gauche, n’existent même plus et il y a unanimité pour justifier les débordements de fonctionnaires qui sont quasiment en guerre contre la société. Comme il faut joindre l’humour à cette triste réalité, nous avons été accompagnés, durant ces dix années, par les meilleurs dessinateurs : Siné, Soulas, Tignous, Babouse, Olive, Farid Boudjellal et surtout Faujour – leurs dessins constituant la représentation sans nuance d’une société policière en développement. Sans oublier mon complice infatigable, Alexis Violet, et notre talentueux infographiste Aris.

S’il nous fallait formuler un souhait, ce serait de voir s’arrêter la publication de Que fait la police ?. Ce qui signifierait le retour à un véritable climat démocratique dans un pays où, les haines étant apaisées, les effectifs policiers seraient bien moins nombreux, et les bavures l’exception.

Quelle utopie stupide ! diront les sceptiques. Voire. Nous avons connu des périodes, comme durant les premiers mois suivant la libération de la France, lorsque les policiers faisaient profil bas – pour ne pas se voir reprocher constamment la servilité dont ils avaient fait preuve lorsqu’ils étaient les exécutants fidèles des ordres de la Gestapo.

Nous ne sommes plus en août 1944, mais la France a besoin d’être libérée de cette présence policière, de plus en plus pesante, qui pourrait nous faire croire aux cauchemars anciens, lorsque la vue d’un uniforme laissait augurer de sinistres lendemains…

Maurice Rajsfus

Vous pouvez télécharger l’intégralité des 100 premiers éditoriaux cliquant sur ce fichier PDF (25 Mo)

Vous pouvez également le commander auprès de l’éditeur (plus pratique pour les lire dans le métro ou à la plage et probablement moins cher 😉 )

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