QUE FAIT LA POLICE ? – Chronique anti-autoritaire de Maurice Rajsfus – 15 janvier 2013
Apprendre à compter les manifestants
La police de la République est de nouveau sous contrôle d’un ministre socialiste. Alléluia ! Ce qui, pourtant, ne modifie en rein les mauvaises habitudes en matière de comptage des manifestants, lors des grandes démonstrations populaires. Ainsi, le 16 décembre 2012, à l’occasion du rassemblement parisien, en soutien au mariage pour tous, il était possible d’apprendre, quelques jours plus tard, que les services de la préfecture de police de Paris estimaient à environ 50.000 le nombre de manifestants, alors que les organisateurs avançaient le chiffre de 150.000. La vérité se situait peut-être entre les deux. On se croirait revenu au bon temps de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant.
Rétention administrative
La solidarité envers les sans-papiers, enfermés dans les centres de rétention administrative (CRA), déjà soumis à de nombreuses contraintes, risque d’être encore plus surveillée. Jusqu’en 2008, seule la CIMADE avait accès auprès des parias, mais Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, avaient pris la décision de fractionner les aides possibles, juridictionnelles particulièrement, entre cinq associations. Ce qui avait pour résultat pervers de disperser les informations issues de ces lieux de non-droit placés sous la surveillance vigilante des geôliers de la police aux frontières.
Il semble que Manuel Valls a décidé de limiter plus encore les capacités d’intervention des associations qui font œuvre de solidarité. Comme si les personnes « retenues » pouvaient être considérées tels d’authentiques criminels. Chaque année, et ce rythme ne semble pas avoir diminué depuis le mois de mai 2012, plus de 50.000 étrangers en situation irrégulière sont enfermés dans l’un des 25 CRA, avec la quasi-certitude de risquer l’expulsion. Sous l’égide de Manuel Valls, d’autres contraintes apparaissent. Par exemple : les associations de soutien aux sans-papiers seraient bientôt soumises à une « obligation de discrétion ». En fait, une véritable obligation de réserve. C’est ainsi que des propos critiques sur les CRA ou certaines informations livrées à la presse seraient passibles d’une sanction financière pour les contrevenants. Pour la CIMADE cela constitue un véritable muselage des associations agréées. Côté ministère de l’Intérieur, on invoque : « L’obligation générale de neutralité prévue dans les contrats publics, qui vise à ne pas insulter l’administration. » Rien moins que cela ! En fait, ce qui insulte surtout les droits de l’homme c’est surtout c’est la volonté d’enfermer massivement des étrangers sans-papiers dont le seul crime est d’avoir cherché une terre d’asile qui serait la plus accueillante possible. Une question essentielle doit être posée à Manuel Valls : les policiers de la PAF chargés de surveiller les « retenus » sont-ils aussi affectueux qu’au temps de Claude Guéant ?
Sans-papiers : régularisations en trompe-l’œil
Le 28 novembre 2012, Manuel Valls présentait en Conseil des ministres une circulaire assouplissant, soi disant, les conditions de l’accès au permis de séjour en France. Voire. En effet, les mauvaises manières policières et préfectorales ne font que subsister. Malgré le changement de régime, peu de choses sont susceptibles de changer par rapport au statut que les sans-papiers connaissaient déjà sous Nicolas Sarkozy et ses fidèles ministres de l’Intérieur. Ce texte, présenté dans « un esprit de responsabilité et d’apaisement (sic) » avec pour objectif de « guider les préfets dans leur pouvoir d’appréciation et de limitation des disparités », relève de la plus grande hypocrisie. En effet, notre ministre de l’Intérieur prévenait immédiatement, en creux : « Il n’y aura pas de grand soir ! », faisant ainsi allusion aux régularisations en grand nombre décidées par François Mitterrand, de 1981 à 1983, comme par Lionel Jospin, en 1997 et 1998.
Le texte de la circulaire rédigée par les services de Manuel Valls, entré en vigueur le 3 décembre 2012, est plutôt rigoureux, et ses avancées plutôt rares. Tout d’abord, les demandeurs de régularisation devront justifier d’une présence d’au moins cinq ans sur le territoire national, etv ayant un enfant scolarisé depuis au moins trois ans. Qu’il me soit permis de noter que ces conditions n’auraient pas permis à mon père, arrivé en France en 1923, et à ma mère, qui l’avait rejoint en 1924, d’être régularisés, car ma sœur, née en 1925, et moi, arrivé sur le sol national en 1928, n’étions pas scolarisés depuis trois ans. Il est vrai qu’en ces temps-là , le droit du sol suffisait pour devenir Français. Autre temps autres mœurs…
Il ne semble pas que dans les préfectures, les hauts fonctionnaires d’autorité ont oublié la rigueur imposée lorsque les Hortefeux ou Guéant tenaient les manettes de la pureté ethnique. Les consignes transmises aux policiers consistaient fréquemment à faire interpeller, aux fins d’enfermement, dans un centre de rétention administrative, les possibles ayant droit, avant que ceux-ci aient eu le temps de faire appel à la justice contre une expulsion en urgence. Déjà , Manuel Valls a prévenu : il ne faut pas se bercer d’illusions. La possible « évolution » ne pourrait concerner que 6.000 à 7.000 étrangers en situation irrégulière. Ce qui limite les « avancées » de ce texte, reposant surtout sur la volonté des patrons de ces sans-papiers ayant employé ces parias sans les avoir déclarés. Quant aux mineurs, entrés sur le territoire français après l’âge de seize ans, leurs difficultés seraient toujours aussi grandes pour être régularisés.
Suite à un débat au parlement, durant les prochaines semaines, et à un projet de loi prévu sur les titres de séjour, déposé au cours du second semestre 2013, il serait peut-être possible d’y voir plus clair. Pourtant, comme le soulignait Le Monde, daté du 29 novembre, malgré quelques avancées, celles-ci ne seront pas juridiquement opposables, en cas de litige devant un tribunal.
Un peu d’histoire
S’il est un ministre de l’Intérieur social-démocrate qui a marqué lourdement son époque, c’est bien Gustav Noske, cet homme d’ordre qui, après la défaite de l’Allemagne impériale, en novembre 1918, va constituer des « brigades de fer » pour combattre l’insurrection des ouvriers et des soldats – particulièrement à Berlin. En 1919, chargé de la défense nationale et du maintien de l’ordre, Noske arrive à Berlin et déclare, lors de sa prise de fonction : « Einer muss den Bluthund verden. » (L’un de nous doit devenir le chien sanguinaire). Ce qu’en langage clair, il était possible de traduire par : « Il faut que l’un de nous fasse office de bourreau ! » Déjà , en novembre 1918, dans les jours qui avaient précédé l’armistice du 11 novembre, Noske, avec ses hommes de main, avait maté ma révolte des marins rouges de la mer Baltique. C’est sous les ordres de ce « socialiste » que sera organisé l’écrasement des militants spartakistes à Berlin. Avec une véritable chasse à l’homme organisée dans la capitale allemande. C’est ainsi que, dans la nuit du 18 au 16 janvier 1919, les dirigeants spartakistes Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, seront assassinés par la soldatesque aux ordres de Noske. En 1920, sa tache sordide achevée, l’homme fort de l’Allemagne se retirait de la vie politique active, laissant la porte ouverte aux factions militaires revanchardes, comme aux charlatans politiques. On connaît la suite…
Déontologie policière : le retour
Le 18 mars 1986, le ministre socialiste de l’Intérieur, Pierre Joxe, édictait un Code de déontologie de la police. Plein de bonnes intentions, cette bible des bonnes manières policières prétendait améliorer aussi bien le comportement de nos gardiens de la paix que la protection des citoyens. On a dû bien rire, alors dans les commissariats de police, à la lecture de l’article 10 de ce Code, qui se voulait fondateur : « Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police, ou de tiers, aucune violence, ni aucun traitement dégradant… »
Hélas ! la gauche venait de perdre les élections législatives, et il ne fallait pas trop compter sur Charles Pasqua, arrivé place Beauvau, pour faire appliquer, à la lettre, ce Code censé représenter une avancée républicaine et démocratique. Quelques mois plus tard, le 6 décembre 1986, les « voltigeurs » de la police assassinaient, il n’y a pas d’autre mot, l’étudiant algérien Malik Oussekine, au terme d’une manifestation paisible, au quartier latin. Au cours du quart de siècle écoulé, il n’a pas été possible de constater que ce Code de déontologie, dont chaque fonctionnaire doit avoir un extrait dans sa poche, a été réellement respecté. Bien au contraire, les contrôles d’identité avec des personnes colorées comme victimes, se sont multipliées, avec, évidemment les inévitables bavures à la clé.
Vingt six ans plus tard, Manuel Valls juge nécessaire de mettre en œuvre un nouveau Code de déontologie de la police. Sans doute parce que les bonnes intentions programmées en 1986 n’ont surtout servi que de vitrine humaniste à l’institution policière. Principale avancée de la nouvelle version : « Les contrôles d’identité ne devront plus se fonder sur aucune caractéristique physique ou signe distinctif, sauf dans les cas où ils seraient motivés par un signalement précis. » La deuxième partie de cette proposition remettant immédiatement en cause le premier corps de phrase. En effet, un jeune maghrébin ne pourra échapper au regard inquisiteur du serviteur de l’ordre lancé à la chasse aux sans-papiers, lorsque la consigne impérative est toujours de faire du chiffre.
La bonne volonté apparente de Manuel Valls prendra toute sa signification lorsque sera supprimé un texte scélérat sur le contrôle d’identité (Article 78-I du Code de procédure pénale), qui « s’effectue dans le respect de la vie individuelle, avec vigilance, courtoisie et dans les conditions fixées par la loi… » Fort bien, mais le même texte « permet de contrôler toute personne, quel que soit son comportement ». Si cet article du Code de procédure pénale n’est pas abrogé, les promesses du ministre de l’Intérieur ne peuvent être crédibles. Il n’en reste pas moins qu’il nous faudrait prendre au mot l’hôte de la place Beauvau, lorsqu’il affirme que les contrôles d’identité devront désormais être pratiqués « dans le respect de la dignité de la personne ». Il en va ainsi de la palpation, dite de sécurité, qui devait être réservée – ne riez pas – aux cas que les policiers ou gendarmes « jugent nécessaires à la garantie de leur sécurité ou de celle d’autrui. » A noter que la sécurité des forces de l’ordre est prioritaire sur celle des citoyens. Par ailleurs, il paraît que le nouveau Code interdit le tutoiement. A ce niveau de courtoisie, nos policiers se devront de faire un gros effort pour ne plus se livrer à cette transgression qui leur permet d’affirmer leur supériorité. Comme le futur Code doit être soumis à des discussions avec les syndicats de policiers, il y a fort à parier que les échanges seront rudes.
Il n’en reste pas moins que si le Défenseur des droits, Dominique Baudis, salue les avancées promises, il juge l’effort insuffisant. Particulièrement au travers de sa volonté exprimée de voir introduire « un devoir de loyauté dans la rédaction des procès-verbaux », sans doute parce que c’est encore loin d’être le cas. Par ailleurs, comme le Défenseur des droits doute de la volonté du ministre de l’Intérieur à faire respecter certaines réformes, il ne manque pas de lui rappeler qu’il est en mesure de lui « recommander de procéder aux modifications législatives ou réglementaires qui lui apparaissent utiles… » En principe, ce nouveau Code devrait être mis en application au cours du premier trimestre 2013. Attendons pour voir ce qu’il en sera dans les faits…
Armement de base
Lorsque nos policiers et gendarmes mobiles partent en opération, le sentiment est fort qu’ils sont lancés sur le sentier de la guerre. Avec le retour des socialistes « aux affaires », comme disait De Gaulle, et l’arrivée de Manuel Valls au ministre de l’Intérieur, en mai 2012, l’arsenal des forces de l’ordre n’a nullement été revu à la baisse. Les armes prétendument non-létales, comme le flash-ball (et sa version gomme cogne) et le taser à impulsion électrique, sont toujours considérées comme défensives pour les chevaliers du guet. Tout comme sont toujours à l’honneur les différents gaz lacrymogènes, les grenades assourdissantes et les grenades dites de désencerclement. Lesquelles sont trop souvent « balancées » à tir tendu et non en l’air. Il est vrai qu’aucun détail n’est superflu pour protéger l’ordre public, même si nos policiers et gendarmes mobiles négligent les interdits en vigueur : c’est ainsi qu’il est interdit de faire usage des flash-ball et des taser, à moins de sept mètres. Où irions-nous s’il fallait équiper nos défenseurs de l’ordre public d’une chaîne d’arpenteur ?
La jugulaire et la calotte
Il faut lire les journaux jusque dans les recoins. Ainsi, dans Le Monde, daté du 28 décembre 2012, il était possible de trouver, dans la page « Météo et Jeux », un intéressant courrier de lecteur, sous le titre « Valls recule à petits pas », une excellente analyse de la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat : « Manuel Valls s’est rendu le 22 septembre 2012 à une béatification à Troyes, et le 21 octobre à une canonisation, à Rome. De deux choses l’une. Ou bien le ministre de l’Intérieur entendait reconnaître le culte des nouveaux promus, et la croyance qu’on y exprime (leur habilitation à obtenir des grâces en faveur des mortels) ; il a alors enfreint l’article 2 de la loi de 1905, qui stipule que La République ne reconnaît aucun culte. Ou bien a-t-il voulu honorer une organisation intervenant parmi d’autres dans le débat public, puis, en étant tout à fait étranger, parmi d’autres ; dans cette hypothèse, il y a eu détournement du libre exercice des cultes que la République garantit, et discriminatoire, contraire à l’égalité de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion, proclamée par l’article I de la Constitution. Quoiqu’il en soit, , Manuel Valls est le premier ministre chargé des cultes à assister à une béatification. C’est un petit pas, mais en arrière. » Il fallait bien que cela soit dit…
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