quefaitlapolicelogo QUE FAIT LA POLICE ? РChronique anti-autoritaire de Maurice Rajsfus Р1er f̩vrier 2013

Un début de changement ?

Le 2 janvier 2013, Manuel Valls abrogeait le délit de solidarité envers les sans papiers, mesure décidée par Nicolas Sarkozy alors qu’il était à son paroxysme de son délire anti-immigrés. C’était la moindre des choses, pour un ministre de l’Intérieur socialiste, que de prendre une telle décision. Curieusement, les grands médias nationaux n’ont guère fait d’écho à cette mesure attendue. Cela très certainement par manque d’intérêt face à un geste humanitaire que l’on espère représenter la reconnaissance d’une forme de convivialité bien naturelle. Il n’en reste pas moins que, sur le terrain, CRS et gendarmes mobiles continuent de veiller au grain, en pourchassant les parias dans les « jungles ». Lesquels se déplacent de jour en jour pour trouver à chaque fois un abri de plus en plus aléatoire. Régulièrement nos forces de l’ordre ne se contentent pas de détruire les pauvres cabanes, reconstruites dans l’angoisse. Pour parfaire les gestes haineux, ces braves défenseurs de nos libertés rendent inutilisables les couvertures fournies régulièrement par des braves gens solidaires, de la région de Calais. De même, ces mercenaires de l’ordre n’hésitent pas, à l’occasion, à arroser de gaz lacrymogènes les pauvres réserves de vivres. Par ailleurs, des camps de Roms sont toujours « évacués » de manière énergique, et de même les squatteurs qui tentent vainement de s’abriter dans des bâtiments à l’abandon, sans être protégés par l’interdiction d’expulser durant la saison d’hiver.

Pôle emploi sécuritaire

Si tous les précaires, ou les possibles chômeurs, aspiraient à devenir policiers, on se bousculerait aux concours organisés pour l’entrée dans les écoles de police. Ce n’est pas le cas, et c’est finalement rassurant. Y-a-t-il jamais eu une véritable vocation pour devenir gardien de l’ordre public ? Ce n’est pas évident, et c’est peut-être heureux. Parallèlement, y-a-t-il des vocations exprimées pour envisager une carrière de surveillant de prison ? Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’un travail de soutier de la société sécuritaire qui est proposé. Avec cette différence essentielle que le policier est persuadé d’être craint, faute d’accéder à une considération attendue. Au bas de l’échelle répressive, nous trouvons les quelque 150.000 agents des sociétés privées, méprisés par leur patron, souvent ancien policier…

Graffiti

Aperçu sur un mur de Marseille, après les révélations sur les policiers de la BAC-nord de Marseille, cette réflexion pleine de bon sens : « Quand la BAC est prise la main dans le sac, c’est tous les flics qui chient dans leur froc ! » (Avec photo de ce graffiti publié dans CQFD de novembre/décembre 2012). Très drôle bien entendu, mais il se trouve pourtant que sur la trentaine de fonctionnaires mis en cause, plus de la moitié de ces excellents serviteurs de l’ordre étaient déjà revenus au service, en décembre 2012, après un rapide changement d’affectation. Il est vrai qu’un fonctionnaire assermenté ne peut pas être tout à fait coupable.

Quelques questions indispensables

Si la sécurité est une valeur de gauche, comme ne cesse de le proclamer notre ministre de l’Intérieur, la protection des personnes les plus fragiles paraît loin de constituer une priorité pour les forces de l’ordre du pays des droits de l’homme. C’est pourquoi se posent toujours un certain nombre d’interrogations auxquelles les responsables de l’ordre public n’apportent guère de réponses :
. Quels sont les critères de recrutement dans les écoles de police ?
. Quelle est la nature des programmes d’enseignement, au cours de l’année de scolarité ?
. Qui sont les enseignants ?
. Quels sont les critères présidant à l’examen de sortie des écoles de police ?
. Notre nouveau ministre de l’Intérieur a-t-il prévu de mettre en place ce que, dans le cadre de la formation permanente, il est convenu de qualifier de contrôle continu des connaissances ?
. Ne serait-il pas naturel que les Commissions de discipline qui jugent les policiers déviants soient constituées par ces citoyens qui ne pourraient être sou^pçonnés de prendre leurs décisions par esprit de corps ?
A suivre…

Lorsque l’armée se mêle du maintien de l’ordre

L’armée ne s’est jamais désintéressée du maintien de l’ordre. C’était le cas à des périodes aussi tragiques qu’en juin 1848, lorsque les généraux, de retour d’Algérie, s’étaient appliqués à réduire les barricades des ouvriers parisiens, en lutte pour leur survie, ou lors de l’écrasement de la Commune de Paris, à la fin du mois de mai 1871. Au début du XXè siècle, Georges Clémenceau étant ministre de l’Intérieur, il était fait fréquemment appel à l’armée pour mettre au pas les ouvriers en grève. Plus récemment, à la fin du mois de mai 1968, avec l’accord de l’état-major, le général de Gaulle de retour de son entrevue avec le général Massu, en Allemagne, était prêt à envoyer sur les contestataires parisiens les blindés du 501è régiment de chars, basés à Rambouillet. Il était devenu envisageable de mater lourdement la révolte étudiante qui avait finalement provoqué la grève générale. En témoignaient, après coup, ces directives pratiques, adressées en 1971 aux chefs de section des écoles d’application du génie militaire :
« Il est essentiel de connaître la psychologie des foules. Les foules sont impulsives, et passionnées à l’extrême. Peu aptes au raisonnement, elles sont propres à l’action. Simples ou exagérés, leurs sentiments sont peu stables. Conscients de leur force, elles cherchent instinctivement à imposer leur point de vue par des actions brutales.»
« La foule se caractérise par son unité mentale ; l’intelligence des individus qui la compose est momentanément diminuée. Au sein d’une foule, l’homme devient une sorte d’automate dépourvu de jugement et d’esprit critique. En résumé, la foule est impulsive, crédule, instable et manifeste pendant un temps limité des sentiments toujours exagérés, bons ou mauvais… » (1) Note cité par Claude Angéli et René Backmann, dans La police de la nouvelle société (Maspéro, 1971)

Qu’en est-il de la police républicaine ?

Ceux qui tiennent les manettes des forces de l’ordre ne cessent de se gargariser avec cette affirmation : notre police est républicaine ! En fait, on nous parle surtout des serviteurs de l’ordre public et c’est toujours au nom d’une démocratie bien tempérée que des hommes (et des femmes), parfois lourdement armés, sont investis dans l’improbable protection des citoyens et des institutions. Il n’est pas possible d’affirmer que le policier aime « cogner » sur ceux qu’il est censé protéger mais, comme l’expliquait le philosophe allemand Hegel,,,,,, dans La Science de la logique : « La fonction crée l’organe… » Comment faire autrement lorsque la matraque est au plus près de la main du serviteur de l’ordre ?
Près du cœur du pouvoir, loin du peuple. Sauf à de très rares exceptions, le serviteur de l’ordre public ne veut pas connaître l’étendue des dégâts provoqués par son obéissance sans faille à la consigne, sans négliger la volonté de mal faire. Finalement, même si l’origine sociale des policiers et gendarmes a évolué, le comportement est resté identique. En effet, si dans le passé les gardiens de la paix étaient issus de la classe ouvrière, et les gendarmes de la paysannerie, tout cela a bien changé avec le chômage de masse né des crises économiques récentes. On devient indifféremment policier ou gendarme pour trouver une sinécure. Par ailleurs, le fait que les policiers soient désormais titulaires du baccalauréat n’a pas amélioré le peu d’humanisme de la fonction. Il en va de même avec l’arrivée significative de l’élément féminin dans l’institution policière. Pour les unes et les autres, il y a cette certitude que le peuple de ce pays doit être surveillé constamment, avec des attentions de geôlier. Les « individus » colorés étaient nécessairement bien plus suspects que les autres.

La force de l’habitude

« Ce matin-là, tout était simple. C’était le premier jour. Il y avait le bien et le mal. J’étais le bon qui allait chasser les méchants. Je partais au boulot. Etais-je, à ce moment-là, un homme ordinaire ? En apparence, sans doute. J’étais debout dans le wagon de métro. Rien ne me distinguait des autres voyageurs. Pourtant, sous ma veste, j’avais un gros revolver. J’éprouvais un sentiment de puissance, et c’était la première fois. J’aurai dû me méfier de ce symptôme. Je l’ignorais encore, mais j’étais déjà très malade. Je découvrirais plus tard qu’il s’agissait d’un mal pernicieux et inéluctable conduisant à une sorte de suicide mental. La fréquentation des voyous, des putains, des escrocs, des vieux routiers de la police, de la mort et des abominations de la vie, transformerait bientôt ma vision du monde. Le quotidien policier rognerait son esprit, effacerait peu à peu toutes les valeurs intellectuelles acquises dans les livres, grâce à l’éducation de mes parents et de vieux instituteurs pétris d’humanisme… » Eric Yung, La tentation de l’ombre, Le Cherche Midi, 1999.

Un impératif : obéir aux ordres

Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, gère son administration en bon père de famille. Tout naturellement, il ne peut accepter que les fonctionnaires opérant sous ses ordres soient agressés lorsqu’ils sont en opération dans des banlieues « sensibles ». Le ministre est entouré de grands esprits, férus en bonne sécurité, qui nous expliquent la police de la République ne peut en aucun cas être comparée à la police de Vichy. Laquelle était toute acquise – au moins par opportunisme – à l’occupant nazi.
Oublions cette triste comparaison. Plus simplement, le policier (ou le gendarme), obéit aux ordres du pouvoir du moment. Lequel lui assure son salaire. C’est ainsi qu’après la Libération de Paris, le 25 août 1944, les policiers qui, durant plusieurs années, s’étaient livrés à la chasse aux communistes et, plus généralement aux résistants, aux francs-maçons, puis massivement aux Juifs étrangers, se justifieront, la main sur le cœur : « Nous n’avons fait qu’obéir aux ordres ! » D’où l’impunité pour la grande majorité qui s’était contentée de ne pas refuser la tâche immonde qui leur était confiée.
Tous ces policiers, en congé de République, de l’été 1940 à l’été 1944, devaient tout naturellement redevenir d’authentiques gardiens de la Paix, après la Libération. Suivant les nouvelles consignes, ils s’emploieront à traquer les collaborateurs. Très vite, ils se coulèrent dans le nouveau moule, réapprenant à user de la matraque lors des conflits miniers, à la fin de 1947 et sur les dockers de Marseille, en 1948. L’habitude étant une seconde nature, la répression conduite par les policiers et leurs collègues de la gendarmerie mobile – tout au log de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962 – sera digne de tous les éloges. Avec, en point d’orgue, le massacre des Algériens le 17 octobre 1961, et l’assassinat de manifestants parisiens, à la station de métro Charonne, le 8 février 1962.
Bien entendu, comparaison n’est pas raison, et cette leçon de morale est évidemment valable pour la police. Ainsi, avec le recul, le slogan des étudiants, en mai 1968, « CRS-SS », n’était peut-être pas historiquement judicieux. Tout d’abord, les policiers en poste à cette époque n’étaient pas tous CRS. Ensuite, ceux qui maniaient lourdement la matraque sur le boulevard Saint-Michel, quand ils n’arrosaient pas les passants de gaz lacrymogènes, n’ont jamais géré de camps d’extermination, mais tous ceux-là, comme leurs anciens ayant participé à la rafle du Vel-d’Hiv, sont en capacité d’exécuter n’importe quelle consigne assassine. D’où cette réflexion nécessaire : nul n’est obligé de rester dans la police lorsque les mission s ordonnées paraissent inhumaines.

Une intervention essentielle

« A quoi sert la police ? A éviter que tout le monde devienne policier. Si tout le monde se met à surveiller tout le monde, la dictature n’est pas loin, la pire des dictatures, celle qui a pénétré dans les âmes et les corps, celle qui permet à un pays totalitaire de se prétendre populaire. Des policiers en puissance, on en voit partout autour de nous, dans les services d’ordre des matches de foot ou des meetings politiques. Essayer de passer pour voir, la violence n’est pas loin. » (Bernard Deleplace, Une vie de flic, Gallimard 1987) L’ennui, c’est que bien trop d’excellents citoyens aspirent à devenir policiers…

La grande presse n’en a pas parlé !

Le 12 novembre 2009, l’ensemble de la presse, écrite et audiovisuelle, avait évoqué une abominable bavure. Un ressortissant marocain s’était rendu dans une pharmacie de Valentigney (Doubs). Suite à une dispute avec le commerçant, celui-ci avait fait appel à la police. Motif ? Cet homme, prénommé Mohamed, âgé de 41 ans, avait refusé un médicament générique. A leur arrivée, les policiers trainaient le « délinquant » sur le trottoir puis, sans ménagement, l’avaient balancé dans leur fourgon après lui avoir passé les menottes. Comme devait le signaler le frère de la victime : « Il avait été maîtrisé par les policiers d’une façon qui a pu provoquer une détresse respiratoire. » Selon le rapport d’autopsie, Mohamed souffrait d’une « altération cardiaque pré existante ». Finalement, à l’occasion de la toilette mortuaire, les témoins avaient pu constater que la victime avait « des bleus sur le visage et une lèvre éclatée ». A 18 heures 05, les pompiers, appelés par la police constataient : « L’arrêt cardiaque » du quadragénaire. Le 25 novembre 2009, le procureur de la République ouvrait une information judiciaire conte X, pour « violence involontaire ». De son côté, la sénatrice Alima Boumédienne-Thierry (Groupe des Verts) saisissait la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Fin du premier acte.
Le 6 janvier 2013, la procureure de Montbéliard confirmait la relaxe des quatre policiers impliqués dans ce meurtre par destination. Cette fois, les médias, à l’exception d’une petite publication militante comme CQFD, ne nous ont pas informés de cette décision de justice. Cela démontrait, une fois de plus, que sous la gauche, comme sous la droite, les policiers ne sont que rarement des justiciables comme les autres.

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