quefaitlapolicelogo QUE FAIT LA POLICE ? – Chronique anti-autoritaire de Maurice Rajsfus – 15 février 2013


Une interrogation essentielle
Bernard Deleplace, qui avait été secrétaire général de La Fédération autonome des syndicats de polie (FASP), dans les années 1980, s’était gravement interrogé sur le rôle de la police nationale, dont il dirigeait le principal syndicat :
« A quoi ça sert, la police ? A éviter que tout le monde devienne policier ! Si tout le monde se met à surveiller tout le monde, la dictature n’est pas loin, la pire des dictatures, celle qui a pénétré les âmes et les corps, celle qui permet à des payas totalitaires de se prétendre populaires. Des policiers en puissance, on en voit partout autour de nous, dans les services d’ordre des matchs de football ou des meetings politiques. Essayer de passer, pour voir, la violence n’est pas loin. » (Bernard Deleplace, Une vie de flic, Gallimard, 1987)

En bonne justice
Bon an, mal an, quelque 3.000 fonctionnaires comparaissent devant les Commissions de discipline de la police nationale. Le détail des sanctions n’étant communiqué qu’avec la plus grande parcimonie. Combien de révocations ou mises à pied temporaires Combien de poursuites effectives devant la justice de la République ? Combien de policiers poursuivis pour avoir fait usage de leur arme sans qu’ils soient en situation de légitime défense ? Combien de faux témoignages – esprit de corps oblige – ou de faux en écriture ? Combien de simples blâmes ? Combien de poursuites se terminant en justice par un non-lieu, pour un viol en réunion, brutalité ou écart de langage inapproprié ?
Finalement au sein de ses propres institutions, comme face à la justice du pays, le policier, fonctionnaire assermenté, n’est que rarement un justiciable comme les autres. Pourquoi, sans doute parce qu’il a fait le choix de défendre les institutions, et ne peut donc être tout à fait mauvais. A ce stade de notre réflexion nous vient une suggestion salutaire : et si les Commissions de discipline de la police nationale étaient constituées, au moins par moitié, de citoyens tirés au sort ? Ce qui permettrait aux possibles « usagers de la police » de participer à la remise au pas, voire à l’éloignement des mauvais sujets chargés de l’ordre public. En effet, n’y a-t-il pas quelque méfiance à éprouver lorsque l’on sait que les policiers, auteurs de dérives plus ou moins graves, sont toujours jugés par leurs pairs avant, parfois de comparaître devant cette justice qu’ils ne cessent de dénigrer ?

Aujourd’hui, comme hier
Le magistrat Casamayor, fin analyste du problème policier, jetait un « oeil neuf » sur la réalité policière dans son ouvrage La police (Gallimard 1973), où il ne manquait pas de noter, avec la plus grande lucidité :
« …La police prend toutes les formes, elle se faufile partout, elle est à la fois solide et liquide, désaltérante et corrosive, uniformisée et déguisée. Rien que par sa double nature, à la fois civile et militaire, elle dépasse les limites de l’armée. Rien que parce qu’elle est à la fois administration et répression, elle dépasse les limites de l’administration… Arrêtons-nous, nous n’en finirions pas de d’énumérer les limites qu’elle enjambe. Et, ultime paradoxe, l’efficacité que le pouvoir exige d’elle lui impose une autonomie qui la rend incontrôlable… »

Déontologie policière …
Le 28 janvier, une nouvelle mouture du Code de déontologie des forces de l’ordre était soumise à la concertation des partenaires sociaux. En fait aux directions de la police nationale et aux très nombreux syndicats de gardiens de l’ordre public. Tout d’abord, le tutoiement deviendrait strictement proscrit envers les « individus » interpellés. Ensuite, les contrôles d’identité seraient encadrés. Par ailleurs, les policiers, tout comme les gendarmes (qui ne sont pas des partenaires sociaux), agiraient « en étant individuellement identifiables ». C’est-à-dire que les uns et les autres seront tenus de porter un numéro matricule sur leur uniforme (Qu’en sera-t-il des policiers de la BAC qui interviennent en civil). Cette décision n’ayant pas manqué de déclencher la fureur des syndicats de policiers. Il convient de rappeler que, même à l’époque du pouvoir de Vichy – y compris en zone occupée par les nazis – les policiers portaient visiblement leur numéro matricule au revers de leur vareuse. Quant au tutoiement, la volonté du ministre de l’Intérieur d’y faire renoncer ses fonctionnaires n’est pas nouvelle. En effet, le « Guide pratique de la déontologie dans la police nationale », édité sous Jospin, en 1999, Jean-Pierre Chevènement étant ministre de l’intérieur, rattrapait un oubli majeur du Code de déontologie de la police, élaboré sous la gauche, en 1986, en l’espèce « la proscription des excès de langage, les familiarités et les gestes déplacés. » Ce rappel ne faisant que souligner le peu d’intérêt le peu d’intérêt manifesté part les forces de l’ordre au Code moral qu’elles sont tenues de respecter. De même qu’il leur était déjà intimé de se « comporter de manière exemplaire. » A suivre, bien entendu…

Ordre juste, pas mort !
Tout au long de la campagne électorale pour les présidentielles de 2007, Ségolène Royal n’avait cessé de marteler ses prises de parole par un lancinant appel à « l’ordre juste ». Ce credo, nouvelle Bible sécuritaire, ou même cette Bonne Nouvelle apportée aux citoyens désireux de ne pas vivre dans l’inquiétude, semble avoir été repris par Manuel Valls. Avec cette fois une application pratique des vœux de la Bonne dame du Poitou Charente. En effet, vers la fin du mois de janvier 2013, il était possible d’apprendre, qu’en 2012, plus de 36.000 sans papiers avaient été expulsés du territoire français. Information nuancée par les bons esprits qui ne tardaient pas à expliquer que bon nombre de ces parias avaient été éloignés à l’époque où le ministère de l’Intérieur se trouvait sous la férule de Claude Guéant. Hélas ! Au lendemain de cette annonce, et de ce commentaire, le sénateur socialiste Georges Gorce, interrogé sur les antennes de Canal +, à propos du nombre élevé d’expulsions, cet estimable parlementaire s’était contenté de répondre sobrement que si « ces gens » avaient été reconduits à la frontière, c’est parce qu’ils étaient en situation irrégulière. Ordre juste, pas mort !

Empreintes déplacées
En 1999, le gouvernement Jospin avait fait adopter, Elisabeth Guigou étant ministre de la Justice, une loi prévoyant le prélèvement ADN des délinquants sexuels. Après le retour de la droite au pouvoir, en mai 2002, Nicolas Sarkozy tenant les manettes au ministère de l’Intérieur, de nombreux délits n’allaient pas tarder à relever d’une loi devenant passe-partout. Ainsi, des faucheurs d’OGM, et même des auteurs de simples graffitis pris sur le fait, risquant des peines de prison ferme s’ils refusent de se soumettre au prélèvement obligatoire. Sauf erreur de notre part, le gouvernement Ayrault s’est bien gardé d’en revenir au projet initial, qui ne concernait que les violeurs. Ce qui implique toujours des poursuites possibles si « l’individu » interpellé, considéré comme déviant par la police refuse de se soumettre au « prélèvement biologique ». Déjà, le délit de solidarité a été heureusement abrogé. Alors, faudra-t-il attendre longtemps pour qu’il en soit de même du prélèvement ADN, destiné à gonfler un fichier qui n’a pas lieu d’être pour la grande majorité de ceux qui peuvent s’y retrouver.

Fait d’hiver…
Il semblerait, effectivement, que notre police nationale soit entrée en socialisme actif. L’hebdomadaire Tout est à nous informait ses lecteurs, le 24 janvier dernier, que le 8 janvier 2013, un campement de Roms de 200 personnes, qui avaient trouvé refuge à Saint-Fons, dans la banlieue lyonnaise, avaient fait l’objet d’une odieuse expédition policière. Ces parias, qui avaient déjà fait l’objet de plusieurs expulsions après avoir assisté à la destruction de leurs campements, en août 2012, pensaient avoir trouvé un havre de tranquillité. Ce 8 janvier 2013, prétextant un jet de pierre, qui aurait touché un véhicule de police s’étant aventuré sur le parking du terrain privé occupé par les familles Roms, trois équipes de policiers en tenue de combat et « rompues aux violences urbaines », accompagnées de gros bras de la BAC, et de deux équipes canines, s’étaient invitées à Saint-Fons pour interpeller les possibles auteurs des jets de pierre. C’est alors que, face à l’hostilité rencontrée, les fonctionnaires de police intervenaient en ayant recours à des jets de gaz lacrymogènes. Cette version étant infirmée par les associations de soutien et la presse locale, qui rapportent des témoignages édifiants : usage de gaz lacrymogènes à l’intérieur d’une dizaine d’habitations, insultes, coups, vitres de caravanes brisées, portes arrachées, rétroviseurs de voiture cassés, etc. En fait, une intervention que n’auraient pas reniée les différents ministres de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy.

Coupables, mais pas trop !
Depuis une quinzaine d’années, l’Observatoire des libertés publiques n’a cessé de poser une question essentielle : comment se fait-il qu les policiers auteurs de très mauvaises manières ne soient pas traités comme des justiciables ordinaires ? Leur statut de fonctionnaire assermenté met-il à l’abri des foudres de la Justice ceux qui n’ont jamais hésité à franchir la ligne rouge ? Très régulièrement, lorsqu’un policier à la retraite est jugé pour des faits remontant à l’époque où il était encore en activité, l’information parue dans la presse, parfois, nous le présente comme un ancien policier, alors que cet authentique délinquant a justement été suspendu de ses fonctions pour des actes délictueux. Ce qui aurait pour fonction de limiter la gravité des faits. C’est ainsi qu’un policier, en poste dans l’Essonne, actuellement âgé de 70 ans, était condamné, à la fin du mois de janvier 2013, à six ans de prison ferme pour des agressions sexuelles et viols répétés sur une fillette, durant les années 1980 et 1990. Ce qui signifie clairement que ce répugnant personnage était en service alors, et qu’il portait l’uniforme de serviteur de la République. Mis à part le fait que l’instruction de cette abominable affaire aurait duré au moins une quinzaine d’années, il n’en reste pas moins que la peine, frappant ce salaud, aujourd’hui à la retraite, est plutôt limitée. Est-ce en raison du grand âge du violeur ou à cause de son passé de défenseur de l’ordre public ?

Morale policière
L’article 12 du Code de déontologie de la police, stipule clairement : « Le ministre de l’Intérieur défend les fonctionnaires de la police nationale contre les menaces, les violences, les voies de fait, les injures diffamations et outrages dont ils sont victimes dans l’exercice ou à m’occasion de leurs fonctions. » Fort bien, mais dans ce même Code, il est seulement timidement question de « dignité dans la fonction », dans l’article 7, et « respect absolu des personnes… », sans autre précision. Ce qui est bien naturel car un esprit équilibré ne pourrait imaginer qu’un fonctionnaire d’autorité se risquerait à des malversations pouvant le conduire sur le banc d’infamie. Il semble qu’un nouveau Code de la déontologie de la fonction policière soit actuellement en préparation. Espérons que cette fois, au-delà des tourments subis par les policiers, le prochain texte se penche sur les vexations et brutalités endurées par les victimes de policiers peu scrupuleux sur la question des droits de l’homme.

Renseignements généraux, pas morts…
Il parait que les R.G. se sont fondus au sein de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur). Cette structure n’est pas inactive, et s’inquiéterait de la radicalisation des luttes suite aux plans sociaux qui ne font que se multiplier. Les salariés de PSA, Renault, Goodyear ou Sanofi en lutte pour préserver leurs emplois, représenteraient peut-être des sources de troubles à l’ordre public, pour cette instance policière. C’est sans aucun doute le sens d’une note envoyée, le 30 janvier aux différents services de police par le directeur de la sécurité publique, envisageant les « orientations stratégiques 2013 » avec, en priorité, « le domaine économique et social ». Tout en incitant les autorités impliquées à « anticiper les mobilisations, les risques d’incidents et les éventuelles menaces sur l’outil de production, en cas de radicalisation d’un conflit. »

Français, moins coupables ?
Dans le cadre de l’accroissement des cambriolages à domicile, Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat de policiers en tenue Alliance, paradait, le 4 février, sur les écrans de Canal +. En quelques minutes, cet excellent fonctionnaire d’autorité réussira à à éructer une bonne dizaine de fois l’expression favorite des gardiens de l’ordre public : « Individu ». Certes, cet éminent syndicaliste évoquait ce « balluchonnage » qui représente un fléau social grave, mais pourquoi pointer l’attention du téléspectateur sur le milieu maffieux supposé étranger. Comme si les bons Français de France étaient incapables de se livrer à de telles malversations. Bien évidemment, Jean- Claude Delage ne peut être accusé de xénophobie et, pas d’avantage, de racisme. Il n’en reste pas moins que le leader de ce syndicat de droite, proche de Nicolas Sarkozy, ces dernières années, s’est tranquillement risqué à évoquer « l’étranger », et son évidente culpabilité. Difficile d’être innocent lorsque l’on a le teint basané ou que l’on porte la défroque de ces Roms que le ministère de tutelle expulse sans compter.

Rappel indispensable
« Il faut être très strict, pratiquer une rigoureuse hygiène du langage, pulvériser autour de chaque mot un nuage de précautions pour en détruire les germes infectieux… » Casamayor, La Police, Gallimard, 1973, page 67.

Alerte au gaz
Quand les forces de l’ordre entrent en socialisme… Cela commence à devenir un air connu, mais les larmes viennent désormais s’ajouter à la promesse de la nouvelle société annoncée. Ainsi, le 6 février 2013, lorsque des salariés du groupe Arcelor-Mittal, venus à Strasbourg pour protester contre leur patron voyou, le comité d’accueil était composé de CRS et de gendarmes mobiles, présents en grand nombre. Face à des ouvriers ne faisant que lancer des slogans revendicatifs, les braves soldats de l’ordre n’écoutant que leur courage, se permettaient de les arroser de gaz lacrymogènes, à bout portant – sans doute pour les inciter au calme. Sur Canal +, les images violentes de ces défenseurs de la République donnaient une idée approximative de la qualité du dialogue social. Qui a pu donner l’ordre de cette intervention immonde ? Face à ces ouvriers sidérurgiques désespérés de perdre leur gagne-pain, la brutalité policière était la seule réponse. Certes, heureusement, il n’y a pas eu mort d’homme mais la démocratie sociale a bien souffert, ce 6 février. Nous avons noté plus haut que les R.G. craignaient des débordements à l’occasion des conflits sociaux à venir. Alors, que les forces de l’ordre ne s’agitent pas préventivement, dans le silence honteux de ceux qui gouvernent.

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