quefaitlapolicelogo QUE FAIT LA POLICE ? Violences policieres : ça n’arrive pas qu’aux autres

Le dossier de l’été

Les bavures policières, dans leur banalité, tendent à se multiplier. Elles sont même dans la nature d’une institution qui n’est pas sous contrôle dans la mesure où il lui est demandé d’être « productive ». Nous pouvons constater, de plus en plus, que chaque policier, sur le terrain, est en mesure d’édicter sa propre loi – en toute illégalité. Il est vrai que les agents de la force publique travaillent sous forte pression : il leur est demandé de faire du chiffre. Ce qui n’est en rien innocent. En effet, lorsque le nombre des délits constatés progresse, cela permet au ministre de l’Intérieur de développer plus lourdement son discours sécuritaire. La mésaventure survenue récemment à un citoyen « convenable », éditeur de son état, à de quoi faire réfléchir. Quiconque, sans raison valable, peut devenir victime d’un policier désireux d’être bien noté par sa hiérarchie. Qu’en sera-t-il si, d’aventure, l’actuel ministre de l’Intérieur accédait, en 2007, aux plus hautes fonctions de l’Etat ?

Violences policieres : ça n’arrive pas qu’aux autres

Le lundi 24 juillet 2006 à 18h40, je circulais à bord de mon véhicule avenue de Clichy à Paris (17e). A la suite du passage en sens inverse d’un véhicule de pompiers, un léger engorgement de circulation s’est fait à un carrefour. J’ai attendu et suis passé au feu vert. Aussitôt après le carrefour, deux agents de la circulation m’ont fait signe de m’arrêter, ce que j’ai fait, pensant immédiatement que ce contrôle était dû au pare-chocs de ma voiture en mauvais état. Comme je venais de récupérer ma voiture au garage à Colombes et qu’elle venait juste de subir le contrôle technique légal, le policier n’a pu que constater que tous mes papiers étaient en règle. Il m’a néanmoins demandé de sortir du véhicule et m’a aussitôt annoncé son intention de me mettre un PV pour « obstruction à la circulation ».

Stupeur de ma part, étant donné que mon arrêt au milieu du carrefour, le temps que le flot de la circulation devant moi se décante, n’a aucunement gêné « le passage des autres véhicules venant des voies transversales », contrairement à ce qui est écrit sur le PV. J’ai dit au policier « Vous n’avez pas le droit de me mettre une amende, je n’ai aucunement gêné la circulation. Vous m’avez arrêté car l’avant de ma bagnole est amoché et comme je suis en règle, vous me mettez un PV qui n’a pas lieu d’être, uniquement pour me faire chier… C’est honteux ! » Réponse du policier : « Calmez-vous, monsieur ! » J’ai répondu : « Je me calmerai quand vous m’aurez rendu mes papiers. Je n’ai pas plus de raison de garder mon calme que vous n’en avez de me coller ce PV imaginaire. Vous outrepassez vos droits. Mes papiers sont en règle, je paie mes impôts, rendez-moi mes papiers et laissez-moi partir. »

Réponse du policier : « Ne me parlez pas comme ça, monsieur, gardez votre calme.» Je lui ai répété que j’étais dans l’incapacité de garder mon calme face à une situation inique, alors que je rentrais tranquillement chez moi, venant de récupérer ma voiture pour partir en vacances le lendemain matin, que mon énervement était parfaitement justifié, et que le fait de porter un uniforme ne lui donnait ni le droit de me mépriser ni celui de mettre des PV bidons.

Le policier : « Faites attention à ce que vous dites, monsieur, vous êtes en train de me traiter de menteur ! » J’ai répondu que oui, et j’ai ajouté que je le traiterais bien d’autre chose mais que je m’abstiendrais car je ne tenais pas à écoper d’un PV pour outrage. Il a souri. De toute évidence, il n’attendait que cela… J’ai encore insisté pour qu’il admette qu’il avait tort et me rende mes papiers et comme il refusait, j’ai lâché entre mes dents « Espèce de petit connard ! Dire que vous pourriez être mon fils…» [J’ai 47 ans, il n’en avait pas 30.] J’étais à bout, je n’ai pas pu m’empêcher de lâcher ce mot… Il m’a demandé de répéter et je me suis défaussé avec une réflexion sur son intelligence inversement proportionnelle à sa virilité.

Voyant que j’avais mis le doigt dans l’engrenage, j’ai aussitôt passé un coup de fil à ma compagne depuis mon portable pour lui dire que je serais sûrement en retard car j’avais des petits soucis avec un policier pour des raisons aberrantes. J’étais tellement à bout qu’elle n’a pas reconnu ma voix. Le policier m’a brutalement arraché mon portable des mains et a appelé à la rescousse deux motards de la Police de la route qui passaient de l’autre côté de la rue, puis il a demandé à son collègue d’appeler des renforts.

J’étais estomaqué de voir un tel déferlement de violence. Je me suis mis à hurler, provoquant très rapidement un attroupement d’une cinquantaine de personnes sur le trottoir. Autant que je me souvienne, j’ai hurlé ceci : « C’est une honte, mesdames et messieurs ! Je n’ai rien fait, je n’ai même pas grillé un feu rouge ! On vit dans un pays où la police a tous les droits ! La France n’est pas un Etat de droit ! Faites quelque chose… » L’un des motards m’a alors poussé par terre en me disant «Ta gueule ! » et m’a passé les menottes dans le dos, en serrant très fort.

J’ai alors demandé à une dame qui avait une bouteille d’eau si elle pouvait me donner un peu d’eau car je n’avais plus de voix, la dame m’a tendu sa bouteille, les gens étaient muets de stupeur, mais le motard m’ a crié « Tu boiras au commissariat ! » Je lui ai crié qu’il n’avait pas le droit de me tutoyer. Un autre policier m’a alors passé un cordon de sécurité en plastique autour des chevilles, qu’il a serré très fort, et je me suis fait embarquer dans un fourgon en résistant aux policiers qui me poussaient de force. Je suis alors tombé par terre et me suis ouvert le genou gauche et le coude droit.

J’ai demandé aux policiers présents dans le fourgon s’ils savaient pourquoi on m’arrêtait mais aucune réponse. Juste des regards lourds de haine, des quolibets. Le policier qui se tenait à ma gauche dans le fourgon et maintenait une forte pression sur mon épaule gauche m’a dit « Tu raconteras ça au commissariat ! » Je lui ai dit qu’il n’avait pas le droit de me tutoyer et lui ai demandé de lâcher mon épaule, que je n’allais pas me sauver, vu que j’avais les chevilles et les poignets menottés, mais il a refusé et a dit « Je ne vous parle pas, je parle à mon collègue. » C’est alors qu’est intervenu le motard, qui a aidé ses collègues à me pousser complètement dans le fourgon.

J’ai alors croisé le regard de la conductrice qui n’avait encore rien dit et je lui ai dit « Et vous, vous ne dites rien ? Vous n’avez pas le droit de traiter les citoyens comme ça ! C’est Sarkozy qui vous donne des ailes ? » Le motard m’a alors enfoncé sa matraque [tonfa ?] dans les côtes et m’a murmuré à l’oreille, suffisamment fort pour que je comprenne, mais suffisamment bas pour n’être compris que de moi : « T’as vraiment de la chance qu’il soit pas encore président ! » Puis il a refermé la porte du fourgon. C’est le moment où j’ai eu le plus peur. J’ai vraiment pensé à ce moment-là qu’on allait me passer à tabac dans le fourgon, j’avais aussi très peur qu’on me casse mes lunettes, mais rien de tel n’est arrivé.

Je tiens à préciser, avant de poursuivre, que lors de l’intervention, les policiers m’ont dépossédé sans aucun ménagement de mon portefeuille, des clés de ma voiture, de mon sac à dos, de la facture du garagiste et du récépissé du contrôle technique, prenant de toute évidence un malin plaisir, soit par leurs réflexions, leurs mimiques menaçantes ou leur refus obstiné de répondre à mes angoisses et questions de citoyen victime d’une injustice flagrante à me signifier leur supériorité numérique (notamment lorsque j’ai crié : « Et je suppose que vous allez mettre ma voiture à la fourrière ? ») Aucun d’eux n’a accepté d’écouter mes récriminations comme je me proposais de leur dire la raison arbitraire pour laquelle on m’avait arrêté.

J’ai ensuite été transporté en fourgon au commissariat de la rue Truffaut et contraint de rallier le Poste en sautillant à pieds joints car ils ont refusé de m’ôter les menottes de cheville, ce qui n’a été fait qu’une fois dans la «salle d’attente », où l’on m’a démenotté pour m’attacher à une barre de fer placée sous le banc avec une menotte au poignet gauche. J’ai alors revu l’agent par qui tout avait commencé [matricule XXX], qui affichait un sourire rayonnant de satisfaction et m’a dit « Vous êtes content, là ! » Je lui ai répondu : « Non, c’est vous qui êtes content, visiblement. Vous avez eu ce que vous voulez ! Vous avez votre outrage, bravo! » J’ai serré les dents pour lui faire comprendre tout le mépris que m’infligeait son comportement. J’avais envie de pleurer mais je me suis retenu pour ne pas le faire jubiler davantage. Un policier a alors pris un cutter pour couper le lien en plastique que j’avais aux chevilles, après m’avoir recommandé de « ne pas lui donner de coup de pied.» J’ai dit que je n’étais pas une brute. J’avais très soif. J’ai demandé à avoir un verre d’eau et le policier XXX m’a dit que je boirais un verre d’eau après avoir vu l’Officier de Police Judiciaire qui prendrait ma déposition. J’ai laissé tomber tout bas « c’est vraiment dégueulasse » et le policier XXX s’est alors précipité sur moi [j’avais les mains démenottées] et m’a menotté le poignet gauche à la barre de fer, en prenant bien soin de serrer les menottes le plus fort possible de façon à ce que j’aie le plus mal possible. Il a juste prononcé les mots « et voilà, arrestation ».

Je suis resté seul dans la pièce pendant une vingtaine de minutes, en penchant la tête vers l’entrée pour demander à appeler ma compagne afin de la rassurer et à boire de l’eau, mais il m’a été répété que je téléphonerais et boirais dans le bureau de l’OPJ. Ensuite [mais là, je ne suis pas sûr de la chronologie], on m’a détaché le poignet gauche puis remenotté les mains dans le dos. Un peu plus tard, comme j’insistais pour boire, le chef de Poste, plus humain que les autres policiers présents, a consenti à m’apporter un verre d’eau et m’a aidé à tenir le gobelet pour boire (étant donné que j’avais toujours les mains menottées dans le dos.)

J’ai ensuite été conduit devant l’OPJ à l’étage, qui a recueilli oralement mon témoignage et m’a demandé si je reconnaissais l’outrage, en me précisant que l’agent XXX avait été traité par moi de « connard ». J’ai dit que c’était possible, que tout était allé très vite et que j’avais complètement paniqué. L’OPJ m’a précisé que si je reconnais le délit d’outrage je pouvais espérer sortir du commissariat dans les deux heures. Dans le cas contraire, je devrais passer la nuit en garde-à-vue. J’ai donc reconnu l’outrage, en précisant que je trouvais parfaitement inique le fait qu’il n’y avait aucune discussion possible et INTELLIGENTE avec les membres des forces de l’ordre en tenue, avec qui on ne peut jamais avoir raison. J’ai pu constater que l’OPJ était un individu « civilisé » et courtois, contrairement à certains de ses collègues en tenue, dont la brutalité était parfois proche de la bestialité.

On m’a alors fait attendre (menotté à un banc) dans le couloir pendant un quart d’heure, puis un second OPJ, également « civilisé » et courtois a recueilli ma déposition. J’ai fait état de mon métier d’éditeur et écrivain de romans policiers, en précisant que j’avais notamment écrit un roman dont le sujet était une bavure policière. Cette remarque a fait sourire mon interlocuteur, mais c’était le sourire d’un homme intelligent et compréhensif, je tiens à le préciser (et pas un sourire de moquerie). Le seul sujet de discorde avec cet OPJ étant le fait « qu’il faut comprendre les collègues en tenue, qui se font traiter de tous les noms toute la journée, alors forcément, il y a des moments où ils craquent ». J’ai simplement répondu que l’agent XXX avait outrepassé ses droits en me mettant un PV pour une infraction imaginaire et que le délit d’outrage et de rébellion pour lequel j’avais été transporté au commissariat était de sa seule responsabilité, et le résultat de son inconséquence et de son incompétence. J’ai fait part à l’OPJ de mon intention de ne pas me contenter d’attendre ma convocation au tribunal et de déposer une plainte contre l’agent XXX.

J’ai ensuite été redescendu (menotté dans le dos) dans la salle d’attente par un policier en tenue très courtois, qui m’a dit à mots couverts qu’il semblait trouver totalement disproportionnée la raison de mon arrestation.

J’ai attendu une demi-heure, le temps que l’OPJ prenne connaissance de la déposition de l’agent et de son collègue, avant qu’on me rende ma liberté. Je suis resté environ 2 h 45 au poste de Police. J’ai retrouvé mon véhicule stationné avenue de Clichy et j’ai pu parler dans un café avec des gens qui avaient été témoins de mon arrestation arbitraire et qui n’en sont pas revenus quand je leur ai dit les raisons pour laquelle on m’avait arrêté.

Quinze heures après ces évéments, j’ai mal un peu partout, j’ai vu un médecin qui a pu constater que j’avais été victime de violences mais ce n’est pas cela le plus grave : le plus grave, c’est que j’ai surtout très honte d’être français.

Jean-Jacques Reboux
Paris, le 25 juillet 2006

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