QUE FAIT LA POLICE ? – Chronique anti-autoritaire de Maurice Rajsfus – 15 mai 2013
Fait divers diffamatoires…
Dans l’après-midi du 15 avril, deux militants du réseau « Résistons ensemble contre les violences policières et sécuritaires » qui diffusaient le bulletin mensuel de leur association dans la cité du Luth, à Gennevilliers (92), étaient interpellés par la police. Pas moins que huit policiers de la BAC surgis de trois véhicules, en compagnie d’une voiture sérigraphiée « police » qui s’étaient garés en travers de la chaussée, bloquant la circulation. Les deux militants étaient ensuite conduits, sous la contrainte, au commissariat de police de Gennevilliers dans des véhicules séparés, avant d’être placés en cellules de garde à vue, après prises d’empreintes digitales et photos anthropométriques. Lors de leur audition, il leur était signifié l’accusation d’avoir détenu des tracts et des affiches dont le contenu serait diffamatoire envers la police. Il leur était également signifié qu’ils pourraient être convoqués pour la poursuite de cette affaire, après cette garde à vue de deux heures, qualifiée « d’audition libre ». Au final, les policiers refusaient de restituer le matériel saisi, tout comme il n’était pas question qu’ils délivrent un reçu. Ne nous trompons pas : Claude Guéant n’est pas de retour au ministère de l’Intérieur mais il paraît certain que nombre de policiers n’ont pas oublié les méthodes qui eur étaient habituelles jusqu’en avril 2012…
« Non, pas vous, Monsieur ! »
Il parait que la peur du gendarme fait réfléchir utilement le citoyen qui se préparerait à franchir la ligne séparant l’honnêteté de la malfaisance. Belle démonstration de ce que peut signifier la morale tranquille du comportement obligé de ceux ou celles qui hésitent à se trouver en rupture avec la loi. Enserrés dans un lourd maillage de lois discriminatoires, menacés de poursuites en cas de contestations trop visibles, les possibles réfractaires à l’ordre établi n’ont qu’à bien se tenir. Donc s’il est simplement nécessaire de provoquer l’inquiétude pour que les institutions ne connaissent pas d’opposition, il y a de quoi s’interroger sur les sentiments profonds de ceux qui se contentent de filer doux.
Faut-il personnaliser le propos ? Pour ce qui me concerne, la vue d’un policier ou d’un gendarme ne m’a jamais rassuré, me met plutôt mal à l’aise. Cela tient peut-être à mon passé de persécuté, mais pas seulement. Je ne peux solder par pertes et profits les hauts faits des policiers de ce pays : les massacres d’Algériens, le 17 octobre 1961 et les assassinats de Parisiens, tout aussi pacifiques, le 8 février, à la station de métro Charonne ; il m’est impossible d’oublier la haine exprimée contre les étudiants, par des policiers dits républicains, tout au long du mois de mai 1968. De même, comment accepter la sauvagerie exprimée par les forces de l’ordre, lors de nombreuses manifestations. Comment supporter cette guerre d’Algérie qui n’en finit pas, dans nos banlieues, depuis un demi-siècle ?
Alors, lorsque je vois une patrouille de policiers ou de gendarmes mobiles dans la rue ou dans le métro parisien, je préfère m’éloigner pour ne pas assister à ces contrôles au faciès – pourtant interdits par la loi – et qui me révulsent. Je n’oublierai jamais cette scène quand, assis sur une banquette gare Montparnasse, j’attendais l’affichage de l’horaire de mon train, survint, plan Vigipirate oblige – quatre parachutistes et un gendarme. « Contrôle d’identité ! » éructa le pandore. Je devais comprendre immédiatement que cela ne me concernait pas, en m’entendant dire, alors que je sortais ma carte d’identité : « Non pas vous Monsieur ! » Les deux autres occupants de la banquette ayant visiblement un profil non adapté, devant se plier à l’injonction de justifier leur origine. En cet instant, l’étoile jaune qui m’avait été imposée par des policiers français en juin 1942 me revenait en mémoire, rappelant que le réprouvé que j’avais été.
Une tradition de police d’ordre
Si l’on en croit la couleur affichée par ceux qui nous gouvernent, nous devrions voir la vie en rose. En fait, tout comme par le passé, c’est bien souvent le bleu marine qui domine. Il faut bien comprendre qu’il s’agit ici d’un faux-semblant et d’une réalité. Comment pourrait-on croire que nous disposons désormais d’une police contrôlée par la gauche alors que la certitude est forte d’être sous surveillance de cerbères surtout tentés de succomber aux sirènes de droite.
Qu’en est-il de cette tribu désignée sous l’appellation de forces de l’ordre alors que le système Sarkozy aurait disparu depuis une année ? Où se situant les forces de désordre ? La gauche a-t-elle vraiment gagné les élections en mai 2012 ? Sous tous les régimes il faudrait que l’ordre, correspondant à l’éthique de ceux qui ont été ondoyés par le suffrage universel, soit respecté. Sans que les mauvaises habitudes changent, lorsque la gauche revient au pouvoir. Sauf à considérer, nous en avons l’habitude, que les raisonneurs soient toujours regardés comme de possibles délinquants. Bien entendu, cela ne devrait concerner que des dérives graves mettant en péril l’ordre public. Pourtant, trop souvent, ce sont de simples délits qui se voient dénoncés comme d’authentiques atteintes à l’ordre public. Faudrait-il donc s’en tenir à la lettre du discours et estimer que l’ordre absolu ne peut être contesté ? En se limitant à un tel mode de raisonnement, il y aurait fort à craindre que les libertés fondamentales cèdent le pas à l’autoritarisme sans limite. Celui ou celle qui donnent les ordres feignent d’ignorer les conséquences de leurs directives, tout en fermant les yeux sur les possibles « améliorations » de la consigne.
Durant dix ans nous avons vécu sous un ordre de droite : dur avec les faibles, tolérant avec les puissants. Tout cela devrait avoir changé depuis le printemps 2012 car la gauche est au pouvoir. A la marge, peut-être, mais dans la réalité, certainement pas ! Durant la campagne des élections présidentielles de 2007, la douce Ségolène Royal n’avait cessé de célébrer l’ordre juste, oubliant simplement d’en dessiner les contours. Depuis le ; mois de mai 2012, nous bénéficions de l’ordre selon Manuel Valls, et les Roms savent ce que cela peut signifier lorsqu’ils sont pourchassés d’un terrain vague à l‘autre. De leur côté, les salariés en lutte pour conserver leur emploi ne sont pas en mesure d’évaluer la différence qu’il peut y avaoir entre les vaporisateurs de gaz lacrymogènes des gendarmes mobiles de Claude Guéant et la puissance de ceux manipulés par les mêmes, désormais missionnés par le citoyen Valls.
En son temps Jean-Pierre Chevènement, grand souverainiste devant l’éternel, expliquait au bon peuple ébahi que notre pays, terre de liberté, avait « une tradition latine de police d’ordre. » D’où la propension de cet ex-ministre de l’Intérieur à organiser les premiers grands charters d’expulsions de sans papiers.
Notre actuel ministre de l’Intérieur, qui se proclame socialiste, estime que les maux de notre société résident dans le manque de policiers et de gendarmes, béquilles indispensables d’une démocratie bien tempérée. Manuel Valls a donc décidé de remédier aux difficultés nées de l’absence de serviteurs de l’ordre. Alors que ces dernières années, les effectifs des croquemitaines de la République avaient été réduits – RGPP oblige – dix mille policiers et gendarmes mobiles sont en cours de recrutement. On respire. Il sera bientôt possible de déambuler dans nos villes sous le regard bienveillant d’un brave défenseur de l’ordre public. Le sentiment est donc fort que nos petites casquettes devaient être satisfaites de servir un pouvoir de gauche, qui s’efforce de les flatter. Erreur d’appréciation. Le protecteur désigné de la Nation serait plutôt enclin à adorer un pouvoir fort qui ne cache pas ses intentions liberticides.
Contrôles au faciès
Petit conseil à donner à ceux qui ne sont pas persuadés de la permanence du contrôle au faciès. Comme si Nicolas Sarkozy était toujours là avec son fidèle Claude Guéant à ses côtés, cette perversité contraire aux droits de l’homme, connaît toujours ses adeptes des mauvaises habitudes policières constituant une seconde nature sécuritaire. Pour confirmer ce qui est bien plus qu’une impression, commencez par déambuler tranquillement dans une gare parisienne. Regardez les chalands ordinaires, et les policiers ou gendarmes qui les dévisagent de façon suspicieuse. Sans trop vous faire remarquer, essayer de tenir un compte des personnes interpellées pour un contrôle d’identité qui n’aurait pas de raison d’être. Déjà , vous êtes en mesure de déceler le groupe de la population concernée. Bien entendu, sont prioritairement dans l’œil du cyclone les maghrébins et les colorés en général. Au sein de cette catégorie de citoyens, hautement suspects, les jeunes sont particulièrement visés et plus encore ceux qui ont le mauvais goût de se parer la tête d’une petite casquette portée à l’envers. Attention si les agents de la force publique s’apercevaient de votre intérêt à les voir s’acharner sur des « individus » estimés différents, il leur est possible de vous reprocher de perturber leur actrion de salubrité publique, avant de vous dresser procès-verbal…
Entre collègues, on ne se refuse rien !
Le 24 avril s’ouvrait le procès de deux anciens gendarmes, reconvertis dans la surveillance active de salariés. Ces deux pandores, qui utilisaient intelligemment leur retraite, opéraient pour le compte des dirigeants du parc Disneyland de Marne-la-Vallée, considéraient sans doute qu’ils avaient bien le droit de choisir une activité nouvelle, la plus proche de l’ancienne. L’ennui, c’est que ces braves cerbères trouvaient leurs sources de renseignements auprès de leurs ex-collègues de la police et de la gendarmerie. Dans le fichier STIC de la police nationale, comme dans le fichier Judex de la gendarmerie. Ce n’est pas la première fois que de tels services soient rendus à des entreprises, qui en font discrètement la demande à des hommes d’ordre de leurs amis, mais, en la circonstance, la complicité était encore plus évidente entre de soi-disant défenseurs de l’ordre public et certains de leurs anciens à qui, semble-t-il, rien ne pourrait être refusé. Il serait intéressant de savoir si le jugement de ces deux authentiques délinquants – s’ils sont condamnés – était complété par des poursuites contre ceux qui livraient illégalement de si précieux renseignements à la direction de Disneyland Paris, et si ceux-là seront jugés à leur tour. Tout en considérant que ces fonctionnaires assermentés sont peut-être plus coupables que leurs clients qui, de leur côté ne pouvaient que les rémunérer à hauteur du service rendu.
BÅ“ufs-carottes
Il paraît que l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) ferait l’objet d’une profonde réforme bientôt lancée par Manuel Valls. C’est ainsi que l’IGPN pourrait être directement saisie par les citoyens. Qu’en est-il véritablement ? Tout d’abord, cette structure, jusqu’ici divisée en deux corps, l’IGS (Inspection générale des services) compétente pour Paris et les départements de la petite couronne, et l’IGPN, seraient unifiés pour exercer un meilleur contrôle et tirer des leçons des scandales récents (Lyon et Marseille). Ces informations nous ont été fournies par Le Monde daté du 26 avril 2013.
A cette occasion, il nous a été possible d’apprendre que durant l’année 2012, l’IGS a été saisie, indirectement, par des particuliers, et l’IGPN à 355 reprises. Depuis, avec l’ouverture d’antennes locales dans les grandes villes du pays : Rennes, Lille et Metz, après Lyon, Marseille et Bordeaux, il y avait la volonté d’éviter que les investigations concernant les policiers ayant franchi la ligne rouge, soient menées par des policiers locaux sur des policiers locaux. En fait, à Bordeaux, pour ne prendre que cet exemple, la création de cette délégation locale avait provoqué un doublement du nombre de dossiers traités. Par ailleurs, l’accès direct au public à cette police des polices (les fameux bœufs-carottes) va comporter une autre réforme. Le « Cimetière des éléphants » ne comportera plus seulement des policiers et comprendra dans son Comité d’orientation, constitué par moitié de personnalités extérieures, un sociologue, un magistrat, un universitaire, un avocat et des responsables de mouvements associatifs.
Depuis plusieurs années, la publication du bilan annuel des dérapages avait été abandonnée – sans explication. Ce rapport serait rétabli. Si la réforme des structures, annoncées le 28 avril, pour la rentrée de septembre 2013, correspondait effectivement à une volonté de clarification, il ne serait pas exclu que les chiffres des mauvaises manières policières puissent être divulguées à leur véritable niveau. Sans négliger le fait que chaque année, plus de 3.000 fonctionnaires de police comparaissent devant les Commissions de discipline de la police nationale uniquement composées de « collègues », souvent compatissants.
Cette volonté soudaine de Manuel Valls d’ouvrir les vannes pour permettre d’alerter directement le ministère de l’Intérieur sur les dérapages policiers ne manque pas d’étonner, tout en provoquant la colère de policiers. Le 28 avril, confirmant sa décision, le ministre de l’Intérieur expliquait : « Chaque citoyen pourra saisir cette inspection pour faire en sorte que la déontologie et les valeurs qui sont celles de la police s’appliquent, afin d’attendre des policiers un comportement exemplaire. » Faut-il donc estimer que ce n’est pas toujours le cas ? Côté syndical, ce sont surtout les représentants des policiers en tenue qui ont exprimé leur doute et leur colère, bien plus que les porte-parole des officiers. Sur les écrans de télévision, la colère visible de Jean-Claude Delage, secrétaire général du très sarkozyste syndicat de policiers Alliance faisait peine à voir lorsqu’il expliquait qu’il ne fallait pas « stigmatiser le travail de la police… » De son côté, Nicolas Comte, du syndicat SGP-Police, dit de gauche, se contentait d’exprimer une certaine crainte de voir la police « mal jugée ».
Policiers de complément
Nous sommes tellement focalisés sur le manque de respect des droits de l’homme par de trop nombreux policiers, que nous en oublions des comportements proches par certains patrons ou cadres d’entreprises. Dans son numéro daté du 28 avril 2013, Libération relatait une affaire d’espionnage à épisode, ciblant des salariés ayant pour protagonistes des responsables de la sécurité de plusieurs magasins Ikéa. C’est ainsi que les cadres du magasin d’Avignon-Védène ont été mis en examen, le 27 avril, dans le cadre d’une information judiciaire. En cause, la surveillance intégrale de salariés et de clients du groupe. Ces mises en examen s’ajoutent à celles prononcées en janvier 2013 à l’encontre du responsable de la gestion risque d’Ikéa de la région Ile-de-France et de son ancienne adjointe. Moralité : on ne nait pas policier, il est possible de le devenir…
Illégitime défonce
Notre police nationale, et néanmoins républicaine, ne manque pas de ces flingueurs qui « défouraillent » sans raison sécuritaire. Les exemples ne manquent pas de ces défenseurs de l’ordre public qui n’hésitent jamais à sortir l’arme de dotation de son étui. En 2012, à Marseille, un policier qui n’était pas de service, et pas davantage en situation de légitime défense, n’en avait pas moins ouvert le feu sur un quidam qui aurait mieux fait de se trouver ailleurs en cet instant. L’affaire sera bientôt jugée.
Remontons au mois de mai 2008 (les affaires mettent en cause des policiers défaillants sont toujours longues à trouver leur issue judiciaire). Dans le 10è arrondissement de Paris, un policier de la BAC, en civil, blessait trois personnes, alors qu’il n’était pas de service. L’enquête démontrait très rapidement que ce défenseur de l’ordre public était sous l’emprise de l’alcool. Deux jeunes hommes présents sur les lieux, qui avaient désarmé le flingueur en le mettant à terre, s’étaient rapidement retrouvés accusés de violences volontaires et de vol d’arme. Fort heureusement, le juge chargé de l’instruction estimait que ces deux jeunes gens avaient agi en situation de légitime défense. Il y a cinq ans, Libération, qui relatait le procès de ce policier dévient, le 26 avril 2013, avait publié un témoignage accablant. Extrait : « Il était ivre mort, il ne marchait pas droit. Je l’ai entendu dire : toi j’te crève ! » Comme bien souvent, les enquêteurs avaient privilégié la thèse d’un guet-apens avec pour victime le policer de la BAC. L’IGS avait été saisie, tandis que la préfecture de police de police déclenchait une enquête administrative. Le 25 avril 2013, la justice tranchait, estimant que la responsabilité du policier était constatée et le condamnait à trois ans de prison dont un an ferme et, curieusement, l’interdiction de port d’armes durant cinq ans. C’était quand même la moindre des choses mais est-ce à dire qu’au terme de cette période l’ancien flingueur de la BAC pourrait de nouveau obtenir le port d’arme ?
En tout bien tout honneur
Le bon, le brave, l’honnête Guéant. Celui qui se vantait d’expulser 30.000 sans papiers par an, a don été pris à son tour, les doigts dans le pot de confiture. L’ancien homme-lige de Sarkozy, ministre de l’Intérieur impitoyable est donc impliqué, lui aussi, dans une mauvaise affaire. Possesseur de comptes multiples, dont il est in capable de donner l’origine, celui dont les services pourchassaient il y a peu, les fraudeurs du fisc, a été mis en pleine lumière délinquante par le Canard Enchaîné daté du 30 avril. Peu de choses : seulement des centaines de milliers d’euros venus de l’étranger qui transitaient sur son compte personnel tandis que les enquêteurs trouvaient chez lui des traces de nombreux paiements en liquide. Celui-là serait en peine de donner des leçons de morale au triste socialiste Cahuzac. Il y a encore de la place dans les cachots de la République mais, à un certain niveau, il y a toujours des circonstances atténuantes…
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