quefaitlapolicelogo QUE FAIT LA POLICE ? – Chronique anti-autoritaire de Maurice Rajsfus – 1er octobre 2013

Editorial : En bonne police social-démocrate

Depuis son arrivée au ministère de l’Intérieur, Manuel Valls n’a cessé de se lamenter à propos de la baisse des effectifs de la police nationale (et de la gendarmerie). Nos anges-gardiens ne seraient plus que 130.000, au lieu de 145.000 encore en service, il y a quelques années. Il est vrai que pour Nicolas Sarkozy, homme d’ordre s’il en est, la logique comptable dominait, pourtant, et la RGPP (Révision générale des politiques publiques) frappait aussi bien les forces de l’ordre, les personnels hospîtaliers que le corps enseignant. En fait, le vibrion qui régnait à l’Elysée, de 2007 à 2012, comptait faire confiance également aux sociétés privées de sécurité, tout comme à ces « voisins vigilants » qui, dans son imagination fertile, devaient compenser – aux moindres frais – la diminution des uniformes bleus dans nos rues. Finalement, il s’agissait tout autant de transformer chaque citoyen en un possible auxiliaire bénévole de la police.
Grand républicain et, rappelons-le une fois de plus, fervent admirateur de Georges Clémenceau, Manuel Valls a la nuque raide. Il préfère que sa légion tape-dur soit composée de fonctionnaires sur lesquels il est sûr de pouvoir compter. En contrepartie, sa confiance absolue leur est accordée car ces braves gens sont considérés comme faisant partie du peloton de tête des forces vives du pays. De même, notre Premier flic de France est à même de beaucoup pardonner à ceux de nos cerbères qui se laisseraient aller à quelques faux pas dommageables. En effet, un citoyen qui entend consacrer son existence à l’ordre public a droit à un certain nombre de défaillances pardonnables.
Par ailleurs, nous savons d’expérience que les ministres de l’Intérieur socialistes ont toujours eu pour souci de peupler les commissariats, bien plus que leurs prédécesseurs de droite. Surtout, ils craignent d’être critiqués pour leur éventuel laisser-aller. Tout aussi régulièrement, un syndicat de police, dit « de gauche », ne cesse d’attirer l’attention de son ministre de tutelle sur cet ordre républicain qui ne peut exister si le pouvoir se montre laxiste envers les « individus » que nous sommes. D’où la fébrilité de ces policiers qui se veulent « progressistes ». En fait, qu’ils soient affiliés à un syndicat de gauche ou à un autre plus certainement de droite, les policiers syndiqués se comportent de façon identique sur le terrain – ils n’ont pas le choix. Admettons que ceux de droite puissent mettre davantage de cœur à l‘ouvrage…

Délinquance bleu marine
Les petites et grandes dérives de nos policiers républicains connaissent rarement de véritables sanctions disciplinaires. Ainsi, en 2012, il y aurait eu 1.381 saisines déposées par l’IGPN (Inspection générales de la police nationale), émanant de la Justice et de particuliers. Suite à ces dépôts de plainte, seules 356 propositions de sanctions avaient fait l’objet d’enquêtes. En finale, près de la moitié de ces demandes devaient donner suite à des renvois en Conseil de discipline et, parfois, à des révocations. Soit, à l’arrivée, environ 175 possibles sanctions. Il est dommage que nous ne soyons pas informés du détail des condamnations, comme du nombre de non-lieux accordés car, répétons-le, un serviteur de l’ordre public ne peut pas être tout à fait mauvais.

L’ennemi intérieur
Pour une fois, l’auteur de cette chronique prend la liberté de se citer, mais il n’en abusera pas. Vue la présence de plus en plus fréquente de chiens policiers lors de l’évacuation peu conviviale d’un campement de Roms ou d’un squat de sans logis, il lui a semblé opportun de se reporter à son livre Candide n’est pas mort (Le Cherche Midi, 2008, pages 275 et 276), publié en un temps où Nicolas Sarkozy tenait fermement les manettes de l’ordre public. Le propos était peut-être hargneux mais correspondait bien à l’autoritarisme ambiant de l’époque :
« …Nous sommes environnés de chiens couchants issus d’organismes génétiquement croisés par toutes sortes de chienneries. Nos maîtres proclamés aiment vivre entourés de ces chiens, sans muselière de préférence. Dans ce pays des Droits de l’homme et du citoyen, il y a bien moins de chiens d’aveugles que de chiens policiers. Ces molosses sont toujours à l’affut pour nous mordre les mollets, et même nous sauter à la gorge, si nécessaire. Un citoyen sur deux risque d’être transformé en chien de garde d’un système qui n’a plus de démocratique que le nom, l’autre fait partie des professions dites sécuritaires. Il y a du chien dans ces hommes à la mâchoire carrée, qui jappent pour plaire à ceux qui les emploient. Ces chiens-là sont toujours disponibles. Il suffit de les siffler, ils ne tardent pas à arriver. Pour les rendre mauvais, la recette est simple : les laisser quelques heures sans bière dans un fourgon avant de les lâcher sur des manifestants ou des contestataires. Tenus en laisse, ils peuvent hurler à la mort, jusqu’à obtenir le droit de mordre. Attention, la meute est à nos trousses ! ».
Nous n’en sommes plus là, fort heureusement. Il convient pourtant d’être vigilant car, plus on flatte les forces dites de l’ordre, plus elles estiment indispensables d’être productives – au plus mauvais sens du terme.

Loin de chez nous
A la lecture de Libération, daté du 3 septembre 2013, à la rubrique culture, il était possible d’apprendre que deux rappeurs tunisiens, d’abord tabassés par les moralistes islamistes, puis condamnés en juillet 2013 pour une chanson taquinant la police, ont été de nouveau interpellés, le 22 août, et condamnés le 1er septembre à 21 mois de prison pour le refrain d’une de leurs chansons « Boulicia Klebs » (les flics sont des chiens). Motif de leur condamnation : outrage à fonctionnaire et atteinte aux bonnes mœurs. Serait-ce que la Révolution tunisienne a produit des effets pervers ? Fort heureusement, nous n’en sommes pas encore à ce stade en France, où l’on garde en mémoire « Gare au gorille » du très regretté Georges Brassens.

A quand un ministère de la Police ?
Le 10 septembre 2013, le syndicat Alliance de la police en tenue appelait ses adhérents à pratiquer la grève des PV – pour les petites infractions seulement. C’était une réaction en guise de protestation contre le projet de réforme pénale initié pas la ministre de la Justice, Christiane Taubira. D’où la vive colère exprimée par Jean-Claude Delage, secrétaire général de ce syndicat dont la sympathie va surtout à l’UMP. Ce 10 septembre, ses mandants présentaient à la population un faux PV, sous la forme d’une pétition en « soutien aux policiers ». Dans le même temps, le leader d’Alliance tenait ce propos, reproduit par Libération du 10 septembre : « On attend que le projet Taubira soit définitivement abandonné. Il est mauvais pour la police, exaspérant pour la population et c’est un message laxiste donné aux délinquants ! » Comme si le pouvoir en place se devait d’attendre l’avis des policiers pour promulguer une loi ou un décret. Dans ce cas, ce serait la voie ouverte à ce qu’il serait possible de qualifier d’Etat policier.
Il convient de rappeler que si les policiers n’ont pas le droit de grève, c’est surtout parce que leurs anciens y avaient renoncé, en 1947, en échange de l’intégration d’une prime dans leur salaire. D’où ces protestations sporadiques. Par ailleurs, ces mêmes syndicalistes, rarement solidaires des luttes sociales, animées par les syndicats ouvriers, ont trouvé un autre motif à leur grogne, exprimée sur les ondes de France-Info, le 9 septembre : « (la) pénibilité de leur travail ». Risible. Est-ce le maniement de la matraque qui leur procure des traumatismes du bras ou de l’épaule ? Pour mieux nous apitoyer, un délégué d’Alliance interrogeait les auditeurs : « Nous voyez-vous à soixante ans ou même soixante-cinq, courir après les bandits ? » Ce brave syndicaliste songeait-il aux ouvriers du bâtiment, du même âge, contraints d’escalader les échafaudages ?

Quelques réflexions utiles d’un magistrat lucide
« La thérapeutique d’une police forte s’impose aux sociétés pléthoriques, aux cerveaux affaiblis par l’inquiétude, aux travailleurs épuisés par l’effort, aux esprits aveuglés par leurs préjugés. Les sanglantes répressions des temps barbares ne sont pas des effets policiers. C’est au contraire les sociétés lisses, dont la surface n’est pas plus agitée que celle d’un étang, qui révèlent la puissance de l’emprise policière. La meilleure répression est celle qui ne se voit pas. Les sociétés modernes, poussant les citoyens à la fois à la démission et à la confiance, élargissent l’abîme que seule la police peut combler, constituant ainsi, au sein même de l’Etat, l’élément de poids qui assure l’équilibre, comme la quille d’un navire et qui est d’autant mieux tolérée que tout est mis en œuvre pour en cacher l’importance. Les citoyens, déjà hypnotisés par leurs taches étroites, soucieux de s’évader eux-mêmes, malades de la sécurité, ayant peu à peu, consciemment ou non, par lâcheté ou par civilisation, laissé s’évaporer l’essence de leur propre résistance, ayant courbé toutes leurs facultés vers un but ponctuel, drogués par leur propre vie, se vouent en fin de compte à la polie, comme ils se vouaient jadis à une divinité… » (Casamayor, in La police, pages 186 et 187, Gallimard, 1973)

La police mène à tout…
Certains « collègues », comme disent les habitués de la Grande maison, choisissent parfois des portes de sortie inattendues. Ainsi, Olivier Marchal, ancien officier de police devenu auteur de polars, tout en faisant l’acteur, de plus en plus fréquemment, dans les séries télévisées. D’autres entrent en politique, comme Bruno Bechizza (ancien secrétaire général du syndicat (sarkozyzte) Synergie Officiers. Désireux de se présenter aux élections régionales, en Seine-Saint-Denis, en 2010, cet honnête officier s’était aperçu que son salaire de conseiller régional serait nettement inférieur à celui de sa rémunération de commandant de police. Pas de problème, lui avait fait savoir Nicolas Sarkozy qui, au choix du Roy, l’avait propulsé au rang de préfet, ce qui lui permettait, une fois élu, de bénéficier d’un traitement équivalent à son dernier grade dans la police. Bien entendu, cet ancien collègue s’intéresse particulièrement aux problèmes liés à la sécurité, en Seine-Saint-Denis. Passons, pour ne pas paraître outrecuidant.
Très récemment, nous apprenions que Frédéric Péchenard, ami d’enfance de Nicolas Sarkozy, et il y a peu de temps encore, directeur général de la police nationale, entendait se présenter aux prochaines élections municipales dans le XVIIè arrondissement de Paris. On le comprend car, après l’arrivée de Manuel Valls à la tête du ministère de l’Intérieur, ce « Grand flic » avait été renvoyé à la circulation – en fait, il avait été muté, au même alaire, aux problèmes liés aux accidents de la route. Libération, daté du 12 septembre 2013, rappelait utilement que l’ami Frédéric avait été lourdement impliqué dans l’opération crapuleuse de mise sur écoute de deux journalistes du Monde, en 2010. Peu de temps auparavant, selon nos propres sources, ce même précieux haut fonctionnaire aurait suggéré à Nicolas Sarkozy de faire figurer tous les citoyens de ce pays dans un gigantesque fichier ADN, pour traquer plus rapidement les possibles délinquants. Rappelons, qu’en son temps, lorsque Joseph Fouché était ministre de la police, il avait proposé à Bonaparte de ficher l’ensemble de la population française.

Comme d‘habitude ?
Dans la nuit du 15 au 16 septembre, à Brest, un véhicule de police renversait une étudiante, qui devait rapidement décéder. Au commissariat de police, on expliquait immédiatement que cet « accident de la circulation » était surtout dû à la mauvaise visibilité de cette nuit pluvieuse, alors que, par ailleurs, le véhicule impliqué circulait à faible allure. Voire. Peut-être en ira-t-il comme après la mort de deux adolescents fauchés par un fourgon de police, à Villiers-le-Bel, en novembre 2007. A cette époque, le chauffard expliquera qu’il roulait à moins de 50 Km/h alors que l’enquête devait démontrer qu’il circulait à 64 km/h. Peu importe. Le 12 septembre 2013, les juges étaient magnanimes puisque l’excellent serviteur de l’Etat, à l’origine de la mort de deux adolescents n’écopait que de six mois de prison avec sursis. En sera-t-il de même, à Brest, dans six ans…

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