quefaitlapolicelogo QUE FAIT LA POLICE ? – Chronique anti-autoritaire de Maurice Rajsfus – 1er décembre 2013

Editorial Les silences du matador

En pleine quasi-insurrection bretonne contre l’Ecotaxe, nombreux étaient ceux qui s’étonnaient du lourd silence de Manuel Valls. Impitoyable avec les ans papiers, tout comme envers les Roms, le ministre de l’Intérieur paraissait ignorer la vandalisation des portiques implantés sur les toutes de Bretagne. Cet apparent manque d’intérêt, face à une violence qu’il ne jugera inacceptable que bien après des heurts avec les force de l’ordre, à Quimper, le 3 novembre, étonnera son collègue Vincent Peillon, qui ne manquait pas de remarquer qui si les jeunes des banlieues « sensibles » s’étaient livrés à de telles dépradations, les forces de l’ordre auraient été bien plus actives sur le terrain. Il est bien évident, en effet, que se heurter à un groupe de pression composé de camionneurs et de syndicats paysans de droite (avec à leurs côtés des salariés en détresse) n’est en rien comparable. D’où la prudence du matador de la place Beauvau. De plus, les « sauvageons » de banlieue ne pourraient en aucun cas devenir des « partenaires sociaux ». D’où, sans doute, ce manque de réactivité.
Le Monde, daté du 11 novembre, qui s’intéressait à la retenue médiatique inhabituelle de Manuel Valls, ne manquait pas de citer les propos des représentants des syndicats de policiers en tenue, eux-mêmes étonnés de la tiédeur des réactions de leur ministre de tutelle, suite aux événements de Quimper. Ainsi, le délégué général pour les CRS du syndicat Alliance (classé à droite), dénonçant les « ordres mous de la hiérarchie ». De son côté, le représentant du syndicat UNSA-Police (plus ou moins classé à gauche), constatait, en cette occasion : « Il y a eu des instructions du gouvernement pour un apaisement. » En clair, ne pas trop fâcher des manifestants qui, pourtant, ne portent pas le gouvernement socialiste dans leur cœur. Ce syndicaliste étant très étonné qu’il « n’y a pas eu d’instructions pour avant la dispersion, interpeller les fauteurs de troubles. » Le quotidien du soir rappelait également qu’une trentaine de policiers avaient été blessés, ce 3 novembre, notant au passage que 600 policiers et gendarmes avaient dû essuyer passivement les violences d’une petite frange de manifestants.
Une fois encore, pour reprendre la réflexion de Vincent Peillon, il convient de rappeler les lourdes peines de prison ayant frappé les jeunes de Villiers-le-Bel, en 2010, pour avoir caillassé des véhicules de police, après la mort violente de deux de leurs copains. Certes, cela se passait sous le règne de Nicolas Sarkozy, mais en va-t-il différemment en 2013 ? La méthode serait-elle moins brutale avec les jeunes des banlieues, alors que les mêmes policiers sont en fonction ? Il ne semble pas, alors que Manuel Valls laissait entendre, après les manifestations violentes de Quimper : « On ne peut pas mettre des gendarmes et des policiers au pied de chaque portique ! » Il serait possible de le croire mais il se trouve toujours suffisamment de policiers pour se livrer à ces contrôles au faciès ayant pour effet de radicaliser des jeunes qui n’oublieront jamais le traitement que leur font subir des fonctionnaires assermentés de la République des droits de l’homme.

Insupportables lycéens
Dans la matinée du 7 novembre, à Saint Ouen (93), les forces de l’ordre intervenaient contre des lycéens qui venaient de bloquer la porte de leur établissement. En solidarité avec Léonarda et Khatchik, ces lycéens manifestaient pacifiquement lorsque des gardiens de l’ordre public décidaient de faire usage de gaz lacrymogènes. Un lycéen, pris de malaise, devait être conduit à l’hôpital le plus proche, nous apprenait France Info dans la soirée du même jour, alors que plusieurs centaines de lycéens venaient de manifester dans Paris.

Policier brutal et injurieux : à la Trappe !
Il arrive que les mauvaises manières des policiers soient sanctionnées. Particulièrement lorsque des témoins n’hésitent pas à montrer du doigt le ou les coupables. Rappelons que, le 18 juillet 2013, à Trappes (91), l’un des trois policiers qui avaient procédé au contrôle d’identité tumultueux d’une jeune femme voilée, et de son mari, s’était comporté plutôt brutalement, et de façon injurieuse. Cette interpellation, plutôt rugueuse, étant à ‘origine de trois nuits de violences dans cette cité « sensible ». Sans hésiter, le tribunal de Versailles avait condamné rapidement l’époux de la victime à trois mois de prison, avec sursis, pour outrage et rébellion envers les trois policiers. Suite à cette altercation, provoquée par des agents de la force publique, l’un des trois policiers s’était diverti sur sa page Facebook, en publiant une photo, avec ce commentaire : »Les femmes blanches sont les plus belles ! » Photo accompagnée, dans le même temps, sur la page Facebook du forum Police-Info, fermée depuis rappelait Le Monde, daté du 11 novembre 2013. L’enquête conduite par l’IGPN sur ce policier suite à un dépôt de plainte, donnait lieu à cette déclaration cocasse de l’avocat de ce fonctionnaire, affirmant que son client était irréprochable. Il n’empêche, les enquêteurs n’ont pas manqué de noter que l’intéressé était « connu pour être régulièrement partie civile dans des procédures d’outrages et de rébellion », en dix et quinze affaires où il s’était présenté comme une victime ; ce qui lui permettait dans doute de payer les traites de sa voiture ou de son appartement. Suite à cette enquête, le parquet de Versailles ouvrait une information pour « incitation à la haine et à la discrimination raciale » contre ce policier décrit comme « exemplaire » par son avocat et peut-être également par sa hiérarchie. A suivre…

Retour à l’envoyeur
Le 12 novembre, le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), déposait plainte contre le ministre de l’Intérieur pour « incitation à la haine raciale ». Rappelons qu’en septembre 2013, Manuel Valls s’était laissé aller à qualifier les Roms de « populations qui ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation. » Avec qui donc, au fait ? Mais avec les vrais blancs, sans doute, que l’on n’accusera jamais d’être des « voleurs de poules »…

Acrostiche
C’est avec le sourire nous l’espérons, que notre ministre de l’Intérieur acceptera ce petit coup de griffe, moins douloureux qu’un coup de matraque :
Valls
Anthropologue atypique
Loin de provoquer la chaleur humaine
Lesté de tristes certitudes
Sous-marin de l’idéologie du rejet

Quand la police crie « Au secours ! »
Les policiers, membres du très droitier syndicat Alliance de la police nationale sont très mécontents. Au point de se mettre en grève, le 13 novembre 2013. Curieusement ces braves défenseurs de l’ordre public ne se livraient jamais à de telles dérives lorsque Nicolas Sarkozy et Claude Guéant étaient encore au pouvoir. Quelle était donc la nature profonde de leurs revendications ? Conditions de travail dégradées et manque de moyens alloués à leurs missions. Selon l’enquête publiée par Le Parisien daté du 13 novembre 2013, certains commissariats seraient au bord de la rupture, vu le manque d’effectifs et le délabrement des locaux où ils officient, sans oublier les odeurs pestilentielles émanant de lieux qui, apparemment, ne seraient pas régulièrement nettoyés. Tout cela est bien triste mais c’est trop vite oublier ces dix années durant lesquelles on n’a guère entendu ces braves policiers se plaindre, sauf pour réclamer davantage de pouvoir répressif. C’est également oublier que sous l’ère Sarkozy, les effectifs de la maison tape-dur ont été réduits d’environ 10 % – RGPP (Révision générale des politique publiques) oblige. Depuis dix-huit mois que Manuel Valls est aux manettes, place Beauvau, on embauche de nouveau et des crédits supplémentaires ont été affectés à la police comme à la gendarmerie. Ce qui donne, pour l’année 2013, un confortable budget de plus de 11,6 milliards d’euros et atteindra les 12 milliards en 2014. Il convient de rappeler qu’entre 2007 et 2012, les crédits accordés aux forces de l’ordre avaient baissé de 18 %, sans que le syndicat Alliance se fasse trop entendre à cette époque. Soyons bien certains que, bientôt, les policiers affiliés à Alliance coifferont le bonnet rouge de ces contestataires bretons qu’ils se sont bien gardés de trop réprimer. A moins qu’ils n’exhibent un bonnet bleu…

Vers une privatisation de la sécurité ?
Serions-nous en train d’assister à une privatisation rampante de l’activité policière C’est ce que laisse entendre un certain nombre de « spécialistes » de la question. Ces gens-là, plus nombreux qu’il est nécessaire, sont pourtant très attachés, tel le trop célèbre Alain Bauer, à la police républicaine. A ce point qu’ils se laisseraient aller à considérer les policiers d’appoint comme des repaires de voyous.
Nous l‘avions déjà signalé, dans une précédente chronique : Manuel Valls paraît s’intéresser à la corporation des agents de sécurité. Récemment, en octobre 2013, notre ministre de l’Intérieur venait de déclarer devant des cadres de la police et de la gendarmerie : « Travaillons à des contrats opérationnels étroits avec la sécurité privée, très présente dans la vie quotidienne des citoyens… » C’était déjà l’ambition exprimée par Nicolas Sarkozy lorsqu’il réduisait les effectifs de la police nationale. Tout comme le ludion, qui nous a quittés, il y a dix-huit mois, Manuel Valls sait pertinemment qui sont les agents de sécurité et leurs patrons, souvent officiers de police à la retraite, ou même hauts fonctionnaires d’autorité chassés de leur administration pour trop mauvaise conduite.
Le quotidien Libération, daté du 15 novembre 2013, nous rappelait curieusement que, même Alain Bauer, grand ami de J.P. Chevènement, Nicolas Sarkozy et même de Manuel Valls, s’inquiète de cette tentation, en des termes définitifs : « …Il faut interdire aux polices privées de s’occuper de la voie publique… Il ne faut pas laisser les privés faire des rondes dans les rues, même entre deux commerces ou deux édifices. Attention, il faut des limites ! » Il ne faut pas négliger le fait qu’il existe en France quelque 6.000 officines désignées sous l’appellation de sociétés privées de sécurité, employant environ 200.000 vigiles, parfois accompagnés de maîtres-chiens dont les méthodes d’intervention sont souvent plus que douteuses. Déjà dans certaines localités, des vigiles privés patrouillent en compagnie de gendarmes. Situation encouragée par Manuel Valls qui n’a pas hésité à déclarer, le 30 septembre 2013, qu’il « fallait favoriser les relations opérationnelles avec les agents de sécurité privés », qui représentent selon le ministre de l’Intérieur, « un levier d’action considérable ». Qu’ajouter à une telle proclamation Attendons à voir s’ouvrir un bureau des pleurs lorsque de bons citoyens auront été victimes des crocs aiguisés des faux-chiens policiers auteurs d’erreurs sur les personnes…

Pas très sympa avec les « collègues »
Le 15 novembre, dans la cité « sensible » des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes (91), trois policiers municipaux devaient essuyer des coups de feu, nous apprenait le quotidien gratuit 20 Minutes, daté du 18 novembre 2013. Plutôt affolés, les « municipaux » se protégeaient derrière des voitures. Dans le même temps, l’un d’eux appelait au secours leurs collègues de la police nationale. Lesquels, apparemment, ne jugeaient pas utiles de se déplacer. « Faute de véhicule disponible » expliquera un policier du syndicat Alliance.

L’un et l’autre
Ce qui se murmurait méchamment, à la grande irritation du ministre de l’Intérieur, deviendrait-il crédible ? Manuel Vals endosserait donc, de plus en plus, le costume de Nicolas Sarkozy. Cette comparaison ne paraissant plus insupportable à l’actuel 1er flic de France. C’est ce qui ressort d’une enquête publiée dans Le Monde, daté du 18 novembre 2013.

Paroles d’un magistrat lucide
« L’aventure policière est compliquée, sinueuse, avec des surprises et des rebondissements. L’aventure est à la banalité ce qu’est la nudité à la coquetterie, la promesse à la certitude, l’imagination au règlement, le lendemain à la veille, et quelques fois la folie à la sagesse. L’aventurier n’a que faire de raisons ou bien il choisit les mauvaises. Il étouffe les remords sous la violence et le scandale sous la réussite. L’aventure policière est insolite et méconnue, masquée par la routine et la nécessité. Pour la mener jusqu’au bout, il faut dominer une anxiété d’autant plus grande que personne ne sait où est le bout que tout ce qui se passe, ce que nous lisons ou devinons, n’est peut-être qu’un prologue et que, demain, la police ayant enfin conquis droit de cité, il n’y aura plus de cité du tout… » (In, La police, de Casamayor, Gallimard, 1973, pages 15 et 16)

Main dans la main !
Le 19 novembre 2013, le directeur-général d’Ikéa-France était mis en examen et placé en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire de Versailles en compagnie d’anciens cadres dirigeants de cette prestigieuse enseigne. Le patron de cette société spécialisée dans l’ameublement, est accusé d’espionnage illicite de ses salariés, comme d’un certain nombre de ses clients, nous informait Le Monde, daté du 21 novembre. Ce qui, hélas ! pourrait paraître classique pour une entreprise capitaliste digne de ce nom, l’est beaucoup moins dans la mesure où, à cette fin, la fine équipe de dirigeants était secondée dans ses mauvaises manières par quatre policiers qui, régulièrement – et pas de manière bénévole – devaient améliorer leurs fins de mois en puisant des renseignements dans les fichiers de police. Particulièrement dans le trop fameux STIC (Système de traitement des infractions constatées). Ce qui signifie également que ces braves gardiens de l’ordre public avaient sans doute quelques collègues de l’administration de ce fichier tout disposés à leur rendre service.
L’affaire est d’importance puisqu’au-delà de ces grands dirigeants, c’est une quinzaine de personnes qui ont été mises en examen et, parmi elles, l’ancien directeur d’Ikéa-France. Ce dernier, qui assurait les contacts avec l’équipe de policiers véreux, ne devait pas être étonné de les voir mis en examen à ses côtés. Parmi d’autres exemples de justification de ces méthodes mafieuses, il s’agissait, pour l’un des magasins du groupe, de « faire face à des syndicalistes de Force Ouvrière très virulents. » D’où, évidemment, cet appel à des policiers très désireux de faire cesser cet intolérable trouble à l’ordre public.
Dans ce même numéro, Le Monde rappelait que, le 27 juin 2013, la société Euro-Disney avait été condamnée par le tribunal correctionnel de Meaux à une très forte amende. Comme trop souvent, les forces de l’ordre étaient impliquées, et deux gendarmes avaient été condamnés à six et dix mois de prison avec sursis. Ces braves pandores étant accusés, eux aussi, d’avoir consulté des fichiers de police, en dehors de tout cadre légal. Pratique qui avait duré de 1997 à 2007. A noter qu’il avait fallu près de sept ans pour que ce jugement, plutôt clément, intervienne.

A.D.N.
A l’occasion de l’arrestation du « Tireur fou » du quotidien Libération, le 20 novembre 2013, il a été possible d’apprendre que le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), comportait 2,1 millions de « profils » de personnes. Il convient de rappeler que ce fichier créé en 1988, alors qu’Elisabeth Guigou était ministre de la Justice concernait essentiellement des auteurs de crimes sexuels et des pédophiles avérés. Au fil des années, le prélèvement A.D.N. s’est étendu aux actes terroristes, au trafic de stupéfiants puis, sous l’ère Sarkozy, aussi bien aux faucheurs d’OGM qu’aux auteurs du moindre graffiti sur la voie publique.

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