Du mauvais usage de la commémoration
Décidément, la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv me rend chaque année un peu plus mal à l’aise. Notre gouvernement, qui n’est pas à une gesticulation près, ne perd pas une occasion de céder à la frénésie du vouloir trop en faire – dans ce domaine comme dans d’autres. Nous avons pu voir et entendre toutes nos éminences se lamenter sur le sort des quelque 13.000 Juifs raflés le 16 juillet 1942. Cela en un temps où le ministre de l’Identité nationale (absent des différentes « festivités ») est chargé de multiplier les interpellations d’étrangers sans papiers, puis leur expulsion.
La meilleure façon de ne pas oublier les quelque 4.000 enfants juifs raflés par la police française, ce jour-là , c’est surtout de ne pas tolérer la chasse aux enfants de ces sans papiers, nouveaux parias aux pays des Droits de l’homme. Il semble pourtant que cela ne paraît pas contradictoire.
En 2007, rien n’a manqué dans l’escalade compassionnelle. Ainsi, ce très haut personnage de l’Etat qui parlait de « fêter », avant de se reprendre, « de commémorer » les victimes de la barbarie nazie. Et puis, comment accepter cette sonnerie aux morts toute militaire, indécente, sur la place des Martyrs juifs du Vel d’Hiv ? Ces hommes, ces femmes, ces enfants et ces vieillards ne sont pas morts pour la France ! C’est le silence et l’indifférence qui ont participé de leur tragique disparition.
Comme à l’ordinaire, était insupportable la présence de ces policiers décorés de la fourragère rouge – symbole de « l’héroïsme » de ce corps d’élite., le 19 août 1944, après quatre années de collaboration avec l’occupant. Cette superbe décoration ayant été distribuée, après la Libération, à ces mêmes policiers qui avaient activement participé aux rafles. Il fallait bien obéir à la consigne, n’est-ce pas. A chaque fois, la vue de cette fourragère rouge m’agresse, et je me sens insulté.
Rien n’a manqué au cours de ces commémorations de 2007. Ainsi, ce journaliste de France 3, qui évoquait « l’arrestation de 13.000 personnes de confession juive. » Le crétin qui énonçait cette stupidité ignorait sans doute que la majorité des Juifs étrangers de la région parisienne ne pratiquaient pas la religion à laquelle on voudrait aujourd’hui les rattacher.
Comment ne pas réagir lorsque le 22 juillet 2007, François Fillon, après avoir affirmé : « Nous ne sommes pas, et nous ne pourrons jamais être guéris de l’Holocauste » ne manquait pas d’ajouter : « des responsables de Vichy, des fonctionnaires, des collaborateurs, se sont souillés d’une faute pleine, indélébile… » Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que ces fonctionnaires n’étaient autres que des policiers français à la solde de Vichy et, nécessairement, des nazis. Pourquoi ne pas l’avoir rappelé ? Pourquoi, également, s’acharner à utiliser ce terme d’holocauste, qui relève surtout d’un caractère religieux, et en tout cas sacrificiel, alors qu’il est bien plus simple de parler de génocide.
Dans une information brève parue dans Libération, daté du 23 juillet 2007, il est bien rappelé que : « Du 16 au 21 juillet 1942, 8.160 des 13.152 Juifs arrêtés à Paris, et dans la région parisienne, lors de la plus importante rafle conduite sur le territoire français, furent parqués au Vel d’Hiv avant d’être conduits dans les camps d’extermination. » Pourquoi, là non plus, n’est-il pas précisé qui avait arrêté ces Juifs, et qui les avaient enfermés au Vel d’Hiv, avant qu’ils soient « confiés » aux bons soins de la Gestapo ? Est-ce devenu une grossièreté de dire que des policiers français avaient effectué cette basse besogne ? Si, de la part du premier ministre, ce silence n’est pas innocent car ce pouvoir n’a de cesse de flatter sa police, j’ose croire qu’en ce qui concerne Libération, il ne peut s’agir que d’un simple oubli…
Maurice Rajsfus, écrivain
Rescapé de la rafle du Vel d’Hiv
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